Un. Si les premières années de ma vie ont été relativement faciles, tout s’est gâté bien rapidement. Enfant unique, j’avais toute l’attention de mes parents, les choses étaient simples, même si je ne le savais pas à cette époque. Naïvement, je croyais même qu’elles deviendraient meilleures lorsque j’avais sept ans, quand mes parents m’avaient annoncé que j’allais avoir un petit frère. Deux. En ayant un petit frère, je pensais avoir un nouvel ami pour jouer. J’avais de la difficulté à me faire des amis à l’école, essentiellement parce que je ne partageais pas les mêmes intérêts qu’eux. Ce ne fut pas ce qui arriva. Bien rapidement, mon frère commença à avoir des problèmes de santé, se retrouvant fragile, se retrouvant à avoir la complète attention de nos parents. C’était difficile à comprendre, mais le voir à l’hôpital, et assister à ses funérailles trop prématurées me fit souffrir. Et avec le recul, je me suis rendu compte que le décès de mon frère m’a poussé à faire mon choix de carrière, parce que je ne voulais pas que quelqu’un, un frère, un parent, souffre comme mes parents avaient souffert, comme moi j’avais souffert. Trois. Mes parents n’ont pas su se relever du décès de leur cadet et ils se sont séparés deux ans après. Je me suis senti délaissé dans le processus, faisant en sorte que je me refermai, je tentai de chercher aussi peu que possible à la maison, que ce soit chez mon père ou chez ma mère. Ma mère enchaina les relations foireuses, mon père se remaria et eut un autre enfant, une demi-soeur que je n’ai jamais vraiment chercher à connaitre ou apprécier. Je la voyais trop peu souvent, et elle ne saurait jamais remplacer mon petit frère, qu’importe le peu de temps que j’avais eu avec lui. Quatre. Je fus admis en médecine à Costal Carolina après le lycée. Mes parents avaient accepté de payer mes études, mais à moins que je reste chez l’un ou chez l’autre, ils refusaient de payer quelconque autre dépense. Afin de payer ma résidence et tous mes besoins, j’ai commencé à travailler. Pendant trois ans, j’ai travaillé comme préposé sur un terrain de golf, commençant mes journées à quatre heures du matin, allant en cours par la suite, étudiant jusqu’à la fin de la soirée. Inutile de dire que de pouvoir travailler en clinique par la suite quand mes compétences furent reconnues fut plus qu’apprécié. Cinq. J’ai rencontré celle que je pensais être l’amour de ma vie alors que j’étais encore à l’université, dans un cours optionnel. J’avais vingt-cinq ans et elle, vingt-trois. Un an plus tard, dans une cérémonie intime, nous avions décidé de nous marier, parce qu’on croyait que nous allions passer notre vie ensemble. Nous avons déménagé, pris une maison à Bishopville, là où j’allais faire ma résidence en pédiatrie. Six. Quatre ans plus tard, tout dérapa. Les disputes s’enchainaient, entre son travail et le mien, nous prenions peu de temps pour nous deux. Puis est arrivé le sujet que je ne pensais même pas être un sujet délicat mais qui, au final, l’était pour moi; les enfants. J’en voulais, elle n’en voulait pas. Je pensais qu’elle ou moi pourrions passer outre, mais nous n’y arrivâmes pas. Elle demanda le divorce, je signai les papiers, et elle partit pour s’installer je ne sais où, à défaut d’avoir des nouvelles de sa part. Sept. Trois mois après ce divorce qui avait été tout sauf facile, je terminai officiellement mes études de pédiatrie. On m’offrit une place sur l’équipe de médecins de l’hôpital de Bishopville, mais on m’offrit également la possibilité de partir avec Médecins Sans Frontières en Afrique pour soigner des enfants malades. Stabilité, ou changement total d’environnement ? Je pris la seconde option. Sans savoir ce qui allait m’arriver, je sautai dans un avion avec d’autres médecins pour ce qui fut au final la meilleure expérience de ma vie. Huit. Faire ce que je faisais de mieux, faire ce que j’aimais le plus faire, dans un environnement où je n’avais aucun problème personnel, c’était tout simplement parfait. Les quelques semaines pendant lesquelles je coupai contact devinrent des mois, puis des années. La seule personne à qui je donnais des nouvelles vraiment, c’était ma cousine, Addison. Avec elle, je ne me gênais pas, mais je ne lui cachais pas le fait que j’avais envie de rester là-bas encore longtemps. Neuf. Ce ne fut pas ce qui arriva. À la fin du mois de mars dernier, un accident arriva. Accident pendant lequel j’endommageai mon pied, à un tel point que je ne pus être soigné sur place. Je fus transporté dans un hôpital en Europe, avant d’être renvoyé aux États-Unis. Verdict ? L’amputation, c’était la seule solution. Évidemment que je le pris mal, je le prends toujours mal. Je n’aurai pas le choix de composer avec cette nouvelle réalité qui ne me ressemble plus. Depuis combien de temps je n’ai pas dormi dans autre chose qu’un campement de fortune ? Que je n'ai pas mangé quelque chose d’improvisé ? Conduit une voiture qui n’était pas un véhicule tout terrain ? Je ne saurais le dire, il y a tant à faire. Et quand je sortirais de l’hôpital, clairement, je ne saurais par où commencer.