Je n’étais pas de service aujourd’hui. Ç’arrivait parfois, et précédemment, c’était souvent source de stress, puisque cela signifiait que je me retrouvais seul, en ne sachant que faire, mais plus maintenant. Ce n’était pas encore parfait, mais je commençais vraiment à prendre l’habitude de la vie de famille, tenir maison, pouvoir faire ma part et ne pas me sentir coupable de ne rien faire. C’était ce que j’avais prévu aujourd’hui. Je m’étais porté volontaire pour aller déposer Freddie à l’école, réalisant que ce genre de petit geste au quotidien me rendait heureux, puisque j’étais en train de découvrir une vie que je n’avais jamais vraiment connu. Puis de retour à la maison, j’avais commencé à faire du rangement, ménage et toutes les banalités desquelles je pouvais libérer mon épouse une fois qu’elle serait de retour. Aujourd’hui, je trouvais d’autant plus important de le faire. En effet, je m’étais rendu compte qu’Hazel n’avait pas une mine des plus brillantes ce matin, et même si je n’avais pas osé insister à savoir si tout allait bien ou non, j’étais quelque peu inquiet. Par conséquent, je ne fus pas tant surpris de recevoir un message alors que j’étais en train de réfléchir au repas de ce soir, un message de ma femme me demandant d’aller la chercher au travail. Sans attendre plus longtemps, je lui répondis, oubliant toute préparation du repas - heureusement que je n’avais pas encore ouvert les fourneaux - pour lui répondre et me préparer. J’enfilai des chaussures et un sweatshirt, puis regardant une dernière fois mon téléphone pour voir si Hazel avait besoin de quoi que ce soit, je pris les clés de la voiture et je me mis en route. J’arrivai une quinzaine de minutes plus tard sur le lieu de travail de mon épouse. Je n’y étais jamais entré, et je n’osais pas tant, mais sachant que ça n’allait pas, j’osai aller à l’intérieur. À la réception, je me présentai, de façon un peu maladroite, et on me demanda d’attendre, que quelqu’un allait la prévenir, certainement parce que je ne pouvais pas accéder à là où elle se trouvait. J’attendis donc, tapant inconsciemment du pied, un peu nerveux, et surtout inquiet de savoir que mon épouse n’était pas dans la plus grande forme.

Finalement j’avais vu juste dans ma supposition; la personne s’occupant de l’accueil se leva pour se rendre à l’arrière, à un endroit que je ne vis pas vraiment. Espérant sincèrement que c’était pour aller chercher Hazel, j’attendis, patiemment. Puis, je fus exaucé du souhait de la voir quelques instants après. C’était un soulagement, une joie aussi de la voir, chaque fois, mais cette fois-ci, ce fut également source d’inquiétude; Je n’étais pas des plus observateurs au quotidien, mais je pouvais clairement voir que là, tout de suite, elle n’avait pas bonne mine, et ça dépassait une simple fatigue. Je n’étais pas un expert en médecine ou quoi que ce soit, mais je n’aimais pas ça, mais pas du tout. Je n’en fis rien, pas en public devant ses collègues, me contentant de simplement ouvrir les bras pour l’y accueillir et l’embrasser comme elle me le demanda sans mot. À ses propos, je dis:  « C’est normal. » En effet, congé ou pas, jamais je n’aurais pu me permettre de la laisser seule. Elle l’avait été pendant si longtemps, il était hors de question que je l’oblige à se débrouiller plus longtemps. Je voulais être présent pour elle, qu’importe la forme que cela prenait, et là, c’était prendre soin d’elle et la ramener à la maison. Enfin, c’était le plan, je supposais, mais je n’étais pas certain que celui-ci me convenait totalement. Encore une fois, je me tus, et je me contentai de simplement entourer ses épaules pour lui offrir un peu de soutien - physique et psychologique - tandis que je lui disais:  « Viens. Je t’ai apporté à manger et à boire, c’est dans la voiture. » afin de l’emmener vers la voiture. En fait, c’était surtout parce que je voulais sortir, aller à l’abri des oreilles de ses collègues. Pas que je ne leur faisais pas confiance, mais parce que ce n’était pas une discussion que je voulais avoir avec trop de gens autour. Il ne fallut que franchir que quelques mètres pour arriver à l’extérieur, pas suffisamment pour que je rassemble mon courage pour lui dire ce qui me passait par la tête. J’essayai malgré tout, bien que ce fut un peu hésitant que je dis:  « Chérie, tu es certaine que… » Je pris une pause volontaire, histoire d’être certain de mes propos, et j’ajoutai:  « Tu ne veux pas aller à la clinique ? » Il y avait de cela quelques jours, je ne lui aurais pas posé cette question, mais là, pour qu’elle cesse de travailler comme ça… Je trouvais que mes craintes étaient légitimes. Évidemment, je n’allais pas insister si elle ne voulait pas, mais je préférais quand même soulever l’idée, et lui montrer que j’avais son bien-être à coeur et que si elle préférait rentrer à la maison, j’allais continuer à prendre soin d’elle, qu’importe sa décision.

Il était évident qu’avoir l’avis d’un médecin sur l’état de santé de mon épouse saurait me rassurer et surtout, me permettrait de savoir quoi faire pour prendre soin d’elle, ce qui, à mon avis, était la chose naturelle à faire pour moi. Mais je ne voulais pas l’obliger à le faire non plus, surtout si elle préférait rentrer à la maison et dormir un peu avant le retour de Freddie de l’école. Quoiqu’il en soit, je refusais de m’imposer de quelconque façon, et je me sentis légèrement embêté qu’Hazel veuille en faire mon choix. Pour ça, je lui répondis:  « Je ne veux pas te l’imposer non plus… » Je n’ajoutai pas quoi que ce soit, lui laissant un moment pour voir ce qu’elle allait décider, prêt à accepter quelconque décision qu’elle allait prendre. Je n’eus pas à attendre bien longtemps; mon épouse acceptant d’y aller, si je venais avec elle. La question n’avait même pas besoin d’être posée, évidemment que j’irais avec elle. Pour lui signifier, je crus qu’hocher tout simplement la tête serait suffisant. Mais aussi pour lui faire savoir qu’elle n’avait pas à regretter sa décision, je pris le temps de déposer un petit baiser sur sa tempe tandis que nous étions en train de continuer à marcher lentement vers la voiture. Une fois que nous y fûmes, je déverrouillai les portières à distance, mais je ne me rendis pas du côté conducteur tout de suite. À la place, j’ouvrai la porte côté passager pour aider Hazel à s’installer sur le siège, à côté duquel elle trouverait ce que je lui avais apporté pour qu’elle puisse se sustenter. Tout ce que j’espérais, c’était que ç’allait lui convenir, parce que bien que j’avais fait attention à prendre quelque chose qui saurait la nourrir et lui plaire en même temps, j’avais choisi plutôt rapidement, histoire de ne pas trop la faire attendre. Ensuite, je contournai la voiture pour m’installer du côté conducteur et mettre la clé dans le contact, histoire de nous mettre en route. Heureusement, la clinique n’était pas bien loin, quelques minutes de route tout au plus. Histoire que le trajet ne se fasse pas en silence, et aussi parce qu’au fond, j’avais besoin d’entendre Hazel me parler un peu, comme pour me rassurer que son état n’avait rien de grave, je demandai:  « Ça a été au travail sinon ? » Je savais que ma question pouvait paraitre un peu stupide, mais il était possible qu’outre son état, il soit arrivé autre chose, et je prenais plaisir à m’informer de son quotidien, comme je l’apprenais au fil des jours.

je ne savais pas si je devais me sentir mal par rapport au fait qu’Hazel avait laissé sous-entendre que la principale raison pour laquelle elle acceptait d’aller à la clinique, c’était pour que moi, je me sente mieux. Évidemment que j’appréciais l’attention, je ne pouvais clairement pas m’en plaindre, mais quand je lui avais dit que je ne voulais pas m’imposer, j’étais sincère. Mais désormais que la possibilité était là, je me rendais compte que rester dans le flou concernant son état ne me plaisait pas, du coup, je n’en fis rien, me contentant d’acquiescer et l’accompagner jusqu’à la voiture pour prendre la route. Et au bout du compte, j’en vins même à me congratuler de ma proposition lorsque mon épouse vint à me confier que sa fatigue et son mal-être l’avaient empêchée de travailler correctement. Je ne connaissais pas grand chose à une vie simple et normale avec un horaire de travail quotidien - en fait, je commençais tout juste à m’y faire - mais dans ma tête ce n’était pas chose normale, pas à ce point, pas selon ce que je connaissais d’elle. Évidemment, tout cela ne fit que renforcer mes inquiétudes, mais je choisis de ne pas réagir dans ce sens, de ne rien dire, me contentant d’accuser réception de l’information, la laisser boire de l’eau et répondre ensuite à la question qu’elle me posa, tout d’abord en secouant la tête pour lui répondre par la négative, puis en ajoutant:  « Pas du tout. Je suis allé déposer Freddie à l’école, j’ai fait du rangement. J’allais préparer le repas de ce soir quand j’ai eu ton message. » J’avais bien choisi mes mots, histoire qu’elle comprenne que je n’avais rien fait et que je n’avais donc rien laissé en plan à la maison. C’était drôle à dire comme ça, mais elle avait bien choisi son moment pour vouloir quitter le travail parce qu’au pire, si nous en avions pour plus longtemps à la clinique, je pourrais toujours choisir un plat plus rapide ou nous pourrions commander, dépendant de comment Hazel se sentait. Au bout d’un petit moment, je ralentis, garant la voiture dans le parking de la clinique, puisque nous étions arrivés à destination. Je coupai le contact de la voiture, mais avant d’en sortir, je pris un moment pour prendre la main de ma femme dans la mienne, la caressant légèrement de mon pouce lorsque je lui demandai:  « Tu es prête ? », préférant lui demander une dernière fois avant de sortir et d’entrer dans la clinique, comme si c’était, en quelques sortes, un point de non-retour.

Ce fut avec un petit sourire timide que j’acceptai le commentaire de mon épouse. Évidemment que j’appréciais sa reconnaissance, mais j’estimais que tout ce que je faisais, c’était ce que je me devais de faire, que c’était normal et que je n’avais pas à être gratifié de quelconque façon pour le faire. Et puis, je ne pus m’empêcher de ressentir un léger pincement au coeur lorsqu’elle parla du fait que j’avais manqué à Freddie. Mais je m’y faisais un peu mieux chaque jour. J’arrivais à accepter le fait que je ne pourrais pas rattraper tout le temps perdu, mais que je devais plutôt profiter de celui que j’avais maintenant avec ma famille. Gardant ce petit sourire au coin des lèvres, je dis:  « Ça me fait plaisir d’aider. » Et c’était vrai. Je me sentais beaucoup mieux quand je me sentais utile dans la maison, et je ne demandais pas que ce soit nécessairement apprécié, mais si ce l’était, tant mieux. Ne prolongeant pas la discussion sur le sujet, pas tant que je ne voulais pas, mais parce que nous étions arrivés à la clinique. Suite à ce petit moment d’affection dans la voiture qui me donna l’assurance qu’Hazel était prête à y aller, je pris les clés et je sortis de la voiture. J’aurais voulu arriver plus rapidement l’autre côté pour l’aider, mais je n’y parvins pas, puisqu’elle était sortie sans moi. Évidemment, je ne partis pas sans elle en direction de l’entrée, la soutenant et marchant lentement pour qu’elle ne se sente pas plus mal qu’elle semblait l’être. À l’intérieur, je remarquai rapidement avec soulagement que peu de gens semblaient attendre, ayant envie de croire que cela signifiait que ce ne serait pas trop long. Évidemment, il fallut quand même se rendre dans la salle d’attente, là où je sentis la tête de mon épouse se faire plus lourde sur mon épaule. Cela ne me dérangeait pas le moins du monde, tant mieux si elle pouvait se reposer un peu. Pendant ce temps, je m’assurai de ne pas trop bouger, gardant ma main dans la sienne. Je la serrai un peu plus lorsqu’on appela son nom pour qu’elle aille voir le médecin et après ça, je fus obligé de rester quelque peu en retrait, ne pouvant pas intervenir, ne pouvant pas faire quoi que ce soit. Je demeurai attentif à ce qui se passait, essayant de ne pas me montrer trop nerveux, mais bien embêté que le médecin n’arrivait pas à quelconque conclusion, demandant une prise de sang. Je ne pouvais pas lui reprocher de faire son travail, au contraire, j’étais reconnaissant qu’il prenne le temps de s’assurer qu’il n’y avait rien qui clochait avec mon épouse, mais c’était stressant malgré tout. Cela parut certainement un peu, puisque dès qu’Hazel fut allongée sur un lit à attendre les résultats, elle chercha à me rassurer. C’était elle qui était la patiente et c’était elle qui me réconfortait… c’était un peu ridicule de ma part quand même. Prenant sur moi et sur mon stress, j’hochai la tête et je dis:  « Je sais… » Je me penchai pour l’embrasser doucement sur le front, et je repris sa main en attendant. Bien que seulement quelques minutes se passèrent, le tout parut interminable avant que le médecin revienne nous voir, un air peu rassurant au visage. Il regarda le dossier qu’il avait entre les mains, nous regarda, et dit:  « Madame Keating, vous n’êtes pas malade, c’est la bonne nouvelle, mais votre prise de sang a révélé la présence de HCG dans votre corps. » Pourquoi ça me disait quelque chose, sans que je ne sache qu’est-ce que ça voulait dire ? Le médecin marqua une pause, et ajouta:  « Cette hormone est présente lorsqu’une femme est enceinte. » Je ne sus pas quoi dire. En fait, je ne savais pas vraiment si j’assimilais l’information, comme si celle-ci ne faisait pas de sens. Troublé, perdu, ne sachant comment réagir, parce que je n’étais pas capable de faire le lien entre ce que le médecin venait de dire et ce qui se passait, je ne dis rien, laissant le médecin demander à Hazel:  « Avez-vous du retard dans votre cycle ? », tandis que moi, je gardais la main de ma femme dans la mienne, la regardant, ayant besoin d’elle pour que le choc passe et que je sois capable de faire de l’ordre dans ma tête et réagir comme il se devait à une telle nouvelle qui était complètement inattendue.

Hazel était enceinte, et je ne pouvais pas me convaincre que ce n’était pas possible. Parce que nous nous étions retrouvés intimement, nous n’avions pas pris quelconque protection, et jamais je n’avais osé lui demander si elle avait repris la pilule, parce que je n’y avais pas songé, parce que plein de choses m’échappaient en ce moment, y compris ça. Aurais-je du le faire ? Je ne savais même pas si je pouvais répondre par la positive; parce que je ne voulais pas voir cette nouvelle comme étant un accident de parcours, une mauvaise nouvelle. Est-ce que le timing était bien choisi ? Absolument pas. Mais est-ce que je voulais avoir un autre enfant avec Hazel ? Je ne m’étais jamais posé la question parce que je pensais que ce n’était tout simplement pas possible, c’était une utopie que je ne pouvais pas former dans ma tête parce que justement, elle était carrément impossible à atteindre jusqu’à il y avait de cela quelques mois, même encore aujourd’hui. Je n’avais jamais été en mesure de me faire à l’idée, d’y songer ne serait-ce qu’un instant, et voilà qu’elle nous était lancée. Pire encore, elle était réelle. Je ne pouvais pas la fuir, je ne pouvais plus la nier comme j’avais tenté de le faire dans les premières secondes. Mais que devais-je faire avec cette idée ? Je ne le savais pas, je n’en avais aucune idée. Et pourtant, il fallait que je fasse quelque chose, il fallait que je me bouge, d’autant plus que ma femme me demanda de réagir, de lui dire quelque chose. Toujours avec les yeux écarquillés, je regardai Hazel, cherchant dans son regard ce que je pourrais lui dire, ce que je pourrais faire. Pouvais-je m’en réjouir ? J’avais envie, mais il y avait tellement de questions qui se bousculaient dans ma tête… Étais-je prêt à être père de nouveau ? Étais-je digne de l’être ? Et Hazel, comment se sentait-elle ? À la regarder, elle semblait aussi confuse que moi… Et je n’aimais pas la voir comme ça, et je sentais, je savais qu’elle comptait sur moi pour dire quelque chose. Me sentant soudainement très nerveux, je décidai de m’en tenir à la seule évidence que j’avais, et qui ne changerait pas, bébé ou pas:  « Je t’aime… » C’était complètement ridicule comme réaction je m’en doutais bien, mais au fond, je ne savais pas ce que je pourrais faire de mieux. J’avais envie de sortir de cette clinique, rentrer à la maison, lui parler seul à seule, puisque c’était comme ça que nous devrions en discuter, à mon avis. Mais histoire qu’elle ne prenne pas peur, je décidai que lui tenir la main n’était pas suffisant, et donc je passai mon bras autour de ses épaules comme je le pouvais, la gardant contre moi en attendant la suite des choses.

Je savais très bien au fond de moi que ma réaction n’avait pas été idéale, bien loin de là. Il faudrait que je me rattrape, il faudrait que je trouve autre chose à lui dire, que je trouve un moyen d’exprimer ce que je ressentais, mais je n’y parvins pas, pas même quand elle me le demanda. Je pinçai les lèvres, honteux, me sentant horrible de la laisser tomber comme ça. Mais tout était trop compliqué dans ma tête. J’étais à la limite de la panique, et ce n’était pas par rapport à l’idée d’être père à nouveau, c’était avec l’idée de composer avec tout ça, et devoir le faire dans une situation où je considérais être sous pression. Pression mise par ma femme - elle, elle était légitime - mais aussi une pression ressentie par rapport au lieu où nous étions en ce moment. J’avais le sentiment que le médecin serait susceptible de me juger. Qui était-il pour faire ça ? Je ne savais pas, mais quand les choses tournaient un peu trop dans ma tête, c’était ce genre de réflexion que j’avais, rien pour m’aider. Tout ce que j’avais trouvé à faire, c’était baisser la tête, ne rien dire, jusqu’à ce que le médecin termine ses informations, et que nous soyons prêts à y aller. Tant bien que mal, j’avais tenté de réconforter Hazel par mes gestes, mais cela ne changea rien. Elle se montra distante lorsqu’elle se releva et se dirigea vers l’entrée de la clinique, me demandant froidement, sans me regarder, si on rentrait. Évidemment que ça ne me plaisait pas de la voir ainsi. Je ne me souvenais pas de la dernière fois que je l’avais vue se retourner contre moi de cette façon, et qu’importe le temps, je savais que je n’aimais pas ça. Je la suivis à la sortie de la clinique, mais l’idée de reprendre la route en silence, juste comme ça ? Ce n’était juste pas possible. Furtivement, je regardai autour, pour voir qu’il n’y avait personne assez près pour nous entendre ou porter attention à nous. C’est là que je me permis de dire:  « Hazel, attends… » Je lui attrapai le poignet délicatement, espérant que ce serait suffisant pour qu’elle se retourne et me regarde. Puis, alors que pendant une seconde, cela semblait être une bonne idée, je commençai à en douter la seconde suivante. Mais je ne pouvais pas reculer, je n’avais pas le droit. Inspirant, j’ajoutai ensuite:  « Je suis désolé… C’était si inattendu… » Que je ne savais que dire ou que faire. Mais cette partie, je ne parvins pas à l’ajouter. Je soupirai, et je dis:  « Et je pensais que jamais ce ne serait possible de nouveau… C’est… Inespéré… » Lorsque la survie est la priorité pendant presque cinq ans, il était évident que non, avoir un nouvel enfant n’était pas une possibilité. Mais le dire comme ça me paraissait trop difficile. Que devrais-je ajouter ? Je ne savais plus. J’avais tant de mal à m’exprimer en temps normal, là tout de suite, c’était pire. Baissant le regard, je me demandai pendant un instant si je ne ferais pas mieux de reprendre la direction de la voiture et l’emmener à la maison, la laisser m’en vouloir, qu’importe à quel point cela pouvait me rendre malheureux.

Je me doutais bien que c’était inattendu pour elle aussi. Pas une seule fois nous en avions discuté, à moins qu’elle l’espérait secrètement, mais je ne pensais pas que ce soit le cas, et si j’avais des doutes, ceux-ci auraient été réprimés dès qu’elle m’avoua que c’était une surprise de son côté également. Pinçant les lèvres, je ne sus quoi dire à ce sujet, choisissant de poursuivre mon discours, pour lui dire que je ne pensais pas que cela allait arriver. Elle me dit que c’était la même pour elle, et je ne le pris pas mal. En fait, je n’avais aucune raison de mal le prendre. Au contraire, d’une certaine façon, je préférais qu’elle me dise cela qu’autre chose, parce qu’après tout, au vu de la durée de ma disparition, elle aurait pu refaire sa vie avec quelqu’un d’autre, avoir un enfant avec quelqu’un d’autre. Bien longtemps j’avais cru que c’était ce qu’elle avait fait, et ça m’avait rendu réticent à l’idée de la revoir pour lui signifier que j’étais de retour et que j’étais en vie. Ce n’était pas le cas, et je savais que jamais je ne saurais lui montrer ma reconnaissance suffisamment pour m’avoir repris et m’offrir une vie que je ne pensais jamais avoir… Et si une des façons de faire était d’accepter cet enfant, qu’importe à quel point cela me faisait peur en ce moment, qu’importe à quel point je doutais de ma personne pour le coup ? Je supposais que oui, j’espérais que oui. Prenant sur moi, j’hochai la tête pour lui signifier que je savais que cet enfant était là. Je le savais, il fallait surtout que j’accepte l’idée et que je sache m’en réjouir, mais ç’allait attendre. Prenant sur moi, je profitai de sa question pour lui offrir ce qu’elle espérait entendre - enfin, j’espérais que ce soit ça - pour lui dire:  « Évidemment… » J’avais mieux fait que ce que je croyais. Au début je voulais simplement lui répondre par la positive, puis mon propos, bien que court, était venu du fond du coeur. Oui je voulais cet enfant avec Hazel, et comme pour le prouver encore plus, tant à moi qu’à elle, j’ajoutai:  « C’est le plus beau cadeau que tu peux me faire… » Je me permis même de faire un petit sourire, timide, soulagé que j’avais pu mettre tout ce qui tournait dans ma tête de côté pendant un moment, espérant de tout coeur que cet aveu soit suffisant pour la rassurer et rentrer à la maison sans froid, quitte à avoir une discussion plus longue une fois rentrés.

J’étais finalement parvenu à me rattraper un peu, je le sentais. Je le sentis par le « je t’aime » qu’Hazel m’offrit lorsque je lui fis comprendre que je voulais de cet enfant. Je ne savais pas encore comment j’allais encore composer avec cette responsabilité, mais j’avais envie de croire qu’avec Hazel, qu’avec un peu de temps, j’allais y parvenir. Je n’étais pas sans savoir que pour se faire il faudrait que je me secoue, énormément, mais était-ce au final ce dont j’avais besoin ? J’avais envie de penser que oui. Par contre, il me faudrait le déterminer plus tard, à défaut de pouvoir le faire maintenant. Là tout de suite, je préférai me concentrer sur mon épouse et ses propos, propos qui me vinrent droit au coeur et qui vinrent aussi me faire un petit pincement au même moment. Pincement parce que je n’avais pas tant fait pour lui offrir ce bonheur qu’elle prétendait avoir grâce à moi. J’avais été absent pendant cinq ans, je n’avais pas été là pour l’aider avec notre fils… Évidemment que je faisais tout pour me rattraper en ce moment, j’allais continuer à le faire, mais je savais que ce ne serait jamais parfait, et probablement que je m’en voudrais toute ma vie, même si là, il faudrait que j’avance, certainement plus rapidement que je pensais, que ce que j’envisageais. Mais j’avais deux, maintenant trois bonnes raisons de le faire, la première étant ma femme et son bien-être. Ce n’était plus le temps que ce soit elle qui prenne soin de moi, mais bien le contraire. Et pour commencer, je lui offris ce réconfort dont elle semblait avoir besoin, l’entourant de mes bras, la serrant contre moi un instant en déposant un baiser sur sa tête. Je me moquais d’où on se trouvait, des gens qui nous entouraient. Ça ne comptait pas en ce moment, il n’y avait que la femme de ma vie qui comptait. Je la gardai dans mes bras encore un moment, détachant à peine mon emprise lorsque je me décidai à lui demander:  « On rentre à la maison ? » Je n’avais pas oublié sa fatigue et son mal-être, et bien qu’on savait désormais à quoi il était du, je n’avais pas envie qu’elle se sente encore plus faible qu’elle ne l’était déjà alors que maintenant, elle n’avait, je pensais, aucune raison pour ne pas aller se reposer.

Si j’avais proposé de rentrer, c’était surtout parce que je savais ma femme fatiguée, me doutant que ce passage à la clinique n’avait certainement pas aidé à tout cela, même si certainement, ça nous avait appris quelque chose, une grande nouvelle. Mais je savais aussi que rester éternellement en ces lieux n’était pas nécessairement ce que j’envisageais pour la suite de notre journée, et je ne savais pas ce que je pourrais lui proposer pour la suite. Faire les boutiques pour bébés ? Je ne pensais pas que ça valait le coup de se précipiter. Si ça se trouvait, Hazel en était qu’au tout début de sa grossesse, là où, si je me souvenais bien, tout était incertain. Après, Hazel avait eu une grossesse saine la première fois, lorsqu’elle était enceinte de Freddie, rien ne semblait nous laisser croire que ça n’irait pas cette fois-ci. Et puis, j’estimais que ma priorité n’était pas de s’emballer, mais accepter l’idée doucement, adapter mon nouveau mode de vie autour de cette idée. La première fois, ce n’était pas pareil, pas du tout. Je quittais souvent, puisque déployé, et ma femme le savait et l’avait accepté. Maintenant j’étais là, tout était différent, et je voulais embrasser ses différences, rattraper le temps perdu ne serait-ce qu’un peu. Heureusement pour moi, Hazel accepta ma proposition, poussant celle-ci en parlant de prendre un bain, avec moi. Dans un premier temps, l’idée me surprit. Non pas que c’était nouveau, mais parce que je ne me souvenais pas de la dernière fois que c’était arrivé. Le temps avait manqué avant, et j’avais été bien réticent ces derniers temps aux rapprochements. Une étape à la fois, et là, je n’avais aucune raison de lui refuser. Doucement, je lui répondis:  « Avec plaisir… » Et puis, compte tenu que nous n’avions pas attendu longtemps à la clinique, nous avions encore un bon moment avant que Freddie ait fini les cours et que je doive aller le chercher. Ce n’était pas une question qui se posait en ce moment; j’allais le faire, sans problème. Prêt à quitter, je pris quand même le temps de lui répondre, après un furtif baiser:  « Je t’aime aussi… » avant de me détacher de son étreinte, sans toutefois lâcher sa main, alors que nous allions en direction de la voiture. Déverrouillant les portières à distance, j’allai ouvrir la porte côté passager à mon épouse pour l’aider à s’installer, comme précédemment, avant de m’installer au volant pour conduire, direction la maison.