Je travaillais pendant la soirée aujourd’hui. Ça ne m’arrivait pas souvent, puisqu’encore relativement nouveau dans le métier, on me demandait d’être présent lorsqu’il n’y avait pas grand-chose à voir et à faire. Certains s’en plaignaient grandement, mais pas moi. Personnellement, ça m’arrangeait puisqu’ainsi, c’était moins stressant, mais aussi, ça me permettait de passer mes soirées avec mon fils et ma femme. Évidemment, ce n’était pas le cas ce soir, mais ça faisait partie du travail. Et puis, lorsque j’avais pris cet emploi, je m’attendais à ce que ce soit bien pire. Comme j’avais pris l’habitude de le faire ces dernières semaines, depuis que je travaillais au casino, je me rendis dans le vestiaire des employés pour enfiler mon uniforme. Ou plutôt, le veston que je devais porter pour m’identifier comme étant un employé du casino avec mon nom dessus. Une fois que je fus prêt, j’allai me rapporter à mon supérieur, afin de savoir à quel endroit je serais posté exactement. D’habitude je n’avais pas à le demander, mais ce soir, je travaillais avec une équipe un peu différente. Je trouvais qu’il était normal de poser la question. Une fois que je sus où aller me poster, je commençai mon service, faisant rien de différent à d’habitude. Intervenant rapidement auprès d’une personne, répondant à une question, rien de plus. C’était généralement ainsi que mes journées se passaient. Mais apparemment, ce soir, ce serait différent, puisque sans m’y en attendre, une personne m’apostropha, d’une façon qui me faisait comprendre qu’il n’avait pas lu l’étiquette avec mon nom dessus pour m’interpeller de la sorte. Fronçant les sourcils, je regardai, et j’eus un moment où je dus réfléchir, savoir de qui il s’agissait. Son visage me dit quelque chose, mais… c’était très, très lointain. M’avouant vaincu au bout de quelques secondes, je me résignai à dire:  « Je sais que je vous connais… » Mais quel était son nom, de où ? Je ne savais pas et je ne savais pas comment demander sans paraître impoli ou déplacé. Je me sentais un peu idiot, mais cinq ans d’emprisonnement, torture et itinérance, ça venait bouleverser des souvenirs, malheureusement.

Maintenant que je savais son nom, ça me disait quelque chose, je m’en souvenais désormais. Et d’ailleurs, je ne tardai pas à lui faire savoir en m’exclamant:  « Oui ! Je m’en souviens ! » Après, je ne pensais pas que j’avais eu la réaction la plus glorieuse qui soit précédemment et je ne pensais pas que ça venait vraiment compenser. D’ailleurs, semblait-il que je n’avais pas été suffisamment expressif, au vu de comment mon ancien compagnon d’armes vint justifier sa présence. M’en sentant mal bien rapidement, je tentai de me rattraper un peu plus, ajoutant:  « Non, ne t’en fais pas, je me souviens. Tu as bien fait de venir me voir. J’ai juste eu un blanc pendant un instant. » Ça restait plutôt vague, mais en plein milieu de mon service, avec de nombreuses gens autour, je ne me voyais pas tellement lui dire qu’avec tout ce qui m’était arrivé, il me manquait certains souvenirs, souvenirs qui étaient quelque peu disparus avec le traumatisme que j’avais vécu. Enfin, c’était ce que mon psychologue m’avait dit. Choisissant de ne pas m’éterniser sur le sujet pour le moment, je préférai, et jugeai préférable surtout, lui demander:  « Quelle surprise de te voir en fait ! Comment tu vas ? » Encore une fois, j’étais resté vague dans mes propos, n’osant pas vraiment lui demander s’il était là en permission, ou parce qu’il avait finalement pris sa retraite. Je me disais que ma question lui permettait de me le dire s’il souhaitait le faire, et sinon, j’allais composer avec l’information qu’il allait me fournir.

Oui c’était vrai qu’on voyait pas mal de gens, pas mal de têtes avec le temps. Mais me concernant, c’était… différent. Très différent en fait. Mais est-ce que je me voyais expliquer le tout ici et maintenant ? Pas vraiment. Pas que je ne pensais pas que Callum n’allait pas comprendre, mais parce que ce n’était pas vraiment le moment pour le faire. Du coup, je m’en tins à son propos, lui demandant comment il allait. J’accusai réception de l’information qu’il me fournit, en déduisant que s’il pensait repartir, c’était parce qu’il était en permission ou quelque chose comme ça. Enfin, dans ma tête d’ancien militaire, ça me paraissait logique. Puis, il me retourna la question. Ce qui était tout à fait normal et légitime. Et parce que justement, c’était si normal, je trouvai normal de commencer à lui répondre:  « Ça va. Et oui je travaille ici maintenant. » Mais ça ne venait pas vraiment justifier comment et pourquoi, ni comment ça se passait pour moi en ces lieux. Hésitant pendant un instant, parce que je savais que tout ça était bien compliqué, et que j’étais en service pour le moment, je décidai de ne pas poursuivre dans l’immédiat, et proposer plutôt:  « J’attends que mon collègue vienne pour me donner une pause. Tu veux bien qu’on se retrouve pour discuter ? » Dans un endroit moins bondé, évidemment, et surtout alors que je n’avais pas à surveiller constamment les environs. Après, je ne savais pas ce que j’allais lui dire exactement, mais il était évident que je serais plus confortable à lui parler seul à seul qu’ainsi, au milieu de tous ces gens.