Thorley, c'était un cadeau, une famille relativement riche, relativement normale. Un petit frère, la prunelle de ses yeux. Thorley, c'était pas assez pour Mal. On lui avait promis la réussite, les rêves, on lui avait répété qu'elle pourrait être tout ce qu'elle voulait, que rien n'est impossible. Elle y a trop cru, a fini par tout plaquer pour le rêve américain, et New York l'a avalée, recrachée aussitôt avec un goût acre de désillusion. Son père l'a prévenue, quand elle est partie, à tout juste vingt ans, mais elle n'a rien voulu entendre, elle a pris l'argent de poche, et son courage, et ses ailes tout juste déployées, et elle s'est écrasée. Alors elle a pris un train, au hasard, direction Bishopville. -- Incapable d'accepter le blâme, elle prétend encore à ce jour que rien n'était de sa faute. Malone, elle n'était pas prête, parce que ses parents ne lui avaient pas appris la vie. Ils s'étaient montrés trop prévenants, l'avaient laissée rêver, naïvement. Ils avaient tort, ils avaient menti, impossible existe bel et bien, elle en a été spectatrice, au premier rang: d'air bnb à apparts pourris, de petit boulot en petit boulot, d'ennui à dégoût. -- Malone a sauté l'étape études, foncé tête baissée dans la vie active. Pour survivre, elle a fait de tout, le car-wash, le service, l'assistance, la vente, mais sans jamais être satisfaite. Elle pensait mériter plus, et n'est tombée que plus bas, le semi-légal, les nuances de gris, mais au moins l'ennui s'était envolé. L'amusement, c'était son obsession, le strip club y a remédié, jusqu'à récemment, jusqu'à ce que la réalité la rattrape, réquisitionne son fils, otage contre une vie moins délurée. -- Elle est tombée dans la drogue très rapidement, Mal, s'y est essayée le temps d'une soirée trop alcoolisée et ne s'est plus vraiment arrêtée. Si elle n'a jamais vraiment eu honte de son mode de vie, ses addictions sont souvent demeurées cachées, et peut-être le secret et la gêne ont-ils participé à la faire plonger, toujours plus profond. Alcoolique par dessus le marché, elle a toujours claqué plus de billets dans ses addictions et les paquets de cigarette que dans quoi que ce soit d'autre. Les soirées ayant failli mal tourner sont innombrables, la princesse Thorley plus déchue que jamais. -- La vie s'est faite monotone à nouveau, malgré la danse et les vêtements effeuillés, malgré les cachets et les bouteilles empilées. Jusqu'à Rhys. Un public différent, complètement désintéressé du spectacle, gêné. Un public qui aurait aimé regarder ailleurs, mais dont le regard revenait à elle comme ceux de ses amis hypnotisés. Elle a flashé, Malone, aussi obstinée était-elle à prétendre le contraire auprès de ses collègues. Elle a tout de même cédé, lui a glissé son numéro au bout d'une course ridicule, en peignoir, à la sortie du club. Elle n'y croyait pas plus que cela, aurait pu oublier qu'il existait, mais le message a fini par arriver et, avec lui, les palpitations caractéristiques d'un sentiment qu'elle n'avait jamais tout à fait apprivoisé. Ils en sont pourtant restés à l'étiquette d'amis, et elle savait, sans pour autant le comprendre, que son boulot était la source du malaise. A quoi pensait-elle, elle avait su, en le voyant pour la première fois, qu'ils n'étaient pas faits pour les mêmes choses, le même monde, et elle a fini par le laisser s'éloigner. Elle est pourtant revenue, il aura suffit de quelques mois, rien d'autre à offrir que son cœur toujours accro et un changement de poste au club, serveuse, habillée légèrement mais tout de même, habillée. -- Rhys, elle l'aimait, vraiment, cela n'a pas pris plus de quelques semaines, quelques entrevues, bien trop de messages pour un rien. Elle l'aime encore aujourd'hui, d'une certaine façon, peut-être parce que leur fils lui ressemble un peu trop, parce qu'il lui a sans le savoir offert la plus belle chose qu'elle ait jamais créée. Il y a quatre ans, lorsqu'il l'a quittée, c'était une toute autre histoire. Différents irréconciliables, pourrait-on dire. Il a découvert ses addictions, pourtant si bien masquées, et s'il est d'abord revenu, il n'a pas tenu, pas su l'aimer comme elle était, pas pu l'aider. C'est qu'elle n'avait pas non plus le courage de se sevrer, alors elle l'a laissé partir, la rancœur et les pilules pour seules compagnes. -- Il n'a pas fallu longtemps, après le départ de Rhys, pour qu'elle réalise. Les nausées matinales auraient pu être attribuées à ses gueules de bois à répétition, mais les six tests positifs sur sa commode, eux, étaient catégoriques. Elle a choisi de le garder, parce qu'il était déjà là, parce qu'il était à elle et grandissait, là-dedans, envers et contre tout, malgré l'alcool et les drogues. Parce qu'il serait sa rédemption, sa façon de prouver qu'elle était plus qu'une strip-teaseuse camée. Il serait sa famille. Elle ferait ce qu'il faudrait, ce serait eux deux contre le reste du monde, elle serait une bonne mère. Sans père, parce qu'il était trop tard, parce qu'elle refusait de lui imposer leur enfant après la rupture, parce qu'elle saurait se débrouiller, et peut-être un peu par rancune. Ils n'auraient jamais formé une famille fonctionnelle, de toutes manières. -- Neuf mois, puis Joshua, la prunelle de ses yeux, en pleine santé, et puis si beau. Joshua, son cœur, son trésor, elle ne l'aurait plus lâché si elle l'avait pu. C'était lui, sa famille, son avenir. Et pour lui en offrir un, d'avenir, elle a repris ses activités douteuses, et ç'avait meilleur goût sachant qu'en rentrant, elle n'était plus seule, elle ne faisait plus ça pour rien, pour elle toute seule. Tout à la fois, elle a replongé, malgré huit mois d'abstinence, d'un courage qu'elle ne se connaissait pas, huit mois de bataille pour l'amour de son fils. Elle a replongé parce que c'était facile, parce que la privation n'était plus nécessaire, plus vitale pour son fils, alors pourquoi pas ? Elle a également souffert d'un baby blues assez intense à la suite de son accouchement, qui l'a beaucoup fragilisée mentalement. -- Elle a tout fait de travers, Mal. Après avoir promis monts et merveilles à son fils, avoir prétendu qu'ils changeraient de vie, peut-être même de pays, qu'elle deviendrait quelqu'un d'autre, quelqu'un de bien, de respectable, une de ces mères parfaites qu'on ne voit jamais ailleurs que sur les écrans. Elle devait changer, s'améliorer, mais n'avait de cesse de reporter, par peur, par égoïsme, parce qu'au final elle n'était pas si mal, dans sa vie de vices, et la vérité c'est que ces rêves d'existence parfaite et clichée n'étaient pas les siens, rien de plus que l'expression de ses craintes, la honte que son fils ressentirait vis-à-vis d'elle, en grandissant. Elle devait changer, mais elle n'en avait pas envie, traînait les pieds, a répété cent fois qu'elle partirait, mais il y avait chaque fois une danse de plus, et elle savait que cela lui manquerait, que plus personne ne la désirerait comme ça, qu'elle serait une mère célibataire que personne n'approcherait. Elle n'arrivait pas à se décider, alors ils l'ont fait pour elle. La protection de l'enfance, ça lui a fait comme un coup sur la tête, elle n'a su réagir, ils l'ont laissée avec cette liste d'exigences, trop longue, et elle n'a pas su par où commencer, alors à nouveau elle a reporté, s'est enfoncée. Anesthésiée, avec des trucs qu'elle ne prenait même pas avant, elle a plongé tête la première dans la connerie, celle que Josh semblait soigner, mais qu'elle a eu vite fait de retrouver.  -- Les phases de déni, de colère, de négociation et même de dépression passées, elle est face à cette foutue liste, seule, sans emploi d'avoir trop souvent laissé son patron en plan, vivant sur des économies trop maigres qui s'amenuisent en lui payant ses vices. Et Rhys s'avère sans doute être sa meilleure chance de récupérer Josh, qu'importe la façon dont ils se sont quittés, et celle qu'elle a eue de ne pas lui annoncer l'existence de son petit garçon.

- - elle tient un agenda détaillé, vestige de sa désintoxication. -- fan de George Michael. -- plus romantique qu'elle ne le laisse paraître, elle se laisse volontiers séduire par les films comme notting hill et pretty woman. -- son accent anglais s'est hybridé au fil des années passées aux Etats-Unis. -- adore les réseaux sociaux, moyen parfait de faire passer sa pauvre existence pour meilleure qu'elle ne l'est. -- elle a une peur bleue des punaises, mais est capable de mettre une araignée dehors à mains nues. -- elle ne regardait jamais la télévision, mais en a achetée une pour occuper Joshua lorsqu'il a eu environ deux ans, et s'est attachée à quelques séries.