Je ne pensais pas que ce jour allait arriver à un moment ou un autre. Je savais qu’on m’avait dit que je pourrais demander à être libéré après un certain temps, à condition de bien me comporter, mais c’était quoi, bien se comporter en prison ? Voilà maintenant cinq ans que j’essayais de savoir ce que c’était, que je tentais de m’en tenir à ce que je pensais être bien, même si je ne savais même plus si j’avais cette définition du mot juste dans ma tête désormais. Apparemment, elle ne devait pas être si mauvaise, puisqu’à ma première demande de libération conditionnelle, j’eus l’accord de ceux qui s’occupaient de mon dossier. Date de sortie ? Aujourd’hui. J’attendais ce moment depuis plusieurs jours maintenant. Je savais que ce n’était pas une pleine liberté, que je devrais me rapporter à un agent des services correctionnels sur une base régulière et que je ne pouvais pas aller bien loin, mais tout me semblait mieux que l’idée de rester derrière les barreaux plus longtemps. Je m’étais tenu occupé les jours précédents ce moment. J’avais arrangé ma sortie, m’assurant que j’avais un endroit où aller, déjà. Je ne savais pas si je saurais me trouver un emploi directement, mais ça viendrait plus tard. On m’avait recommandé d’y aller doucement. Enfin, c’était ce que j’avais pu en comprendre. Le matin venu, je m’étais réveillé tôt. J’avais déjà ramassé toutes mes affaires. Enfin, tout tenait dans un maigre sac, j’avais trop peu de possessions et probablement que tout ce que j’avais au moment de mon emprisonnement avait été saisi. J’avais une tenue qui m’attendait, une seule. Un jean et un t-shirt, que j’enfilais pour la première fois en cinq ans, délaissant la combinaison de prisonnier. Le sentiment était indescriptible. Je restai même un petit moment à sentir le tissu sur ma peau, comme si jamais je n’avais enfilé quelque chose comme ça précédemment. On me remit ce que j’avais apporté avec moi il y a cinq ans. Mon portefeuille - avec des cartes qui auraient certainement besoin d’être renouvelées - un téléphone portable qui ne servait plus et que je refusai de reprendre. C’était à peu près tout. Et retrouver ces items, ce n’était rien comparativement à ce que je sentis après avoir signé les derniers documents garantissant ma libération, me listant les conditions à respecter pour conserver cette libération. Le sentiment que j’eus lorsqu’on m’ouvrit la porte et que je me retrouvai, mon maigre sac à la main, à l’extérieur, sans clôture ou barbelés autour pour me rappeler que je n’étais pas libre. Il n’y avait rien, plus aucune barrière. J’en eus les larmes aux yeux, et une de ces larmes vint rouler sur ma joue lorsque je vis Kaitlyn qui était venue me chercher, qui allait m’héberger pendant un temps. Je ne saurais lui en être plus reconnaissant. L’ayant repérée rapidement, je m’approchai, et à sa hauteur, je ne sus que lâcher un petit: « Hey… » avant de la prendre dans mes bras et la serrer, comme on ne m’avait jamais donné le droit de le faire, mais comme je pouvais le faire maintenant. À défaut d’avoir eu si peu de contacts humains, j’avais l’intention d’en profiter, ne serait-ce que quelques minutes, et je n’aurais pas su imaginer de meilleure personne à qui offrir une première étreinte en ce moment.

Il y avait un risque que Kaitlyn me repousse dans cette étreinte et elle aurait le droit de le faire, mais elle ne le fit pas, à mon soulagement et pour mon bonheur. Évidemment, je n’en abusai pas, cherchant dans ses bras seulement le courage pour affronter le monde extérieur, même si je savais qu’avec elle, tout irait bien. Contenté lorsqu’elle se décala, je la laissai faire, je n’aurais pas su la forcer à continuer, surtout pas dans ce lieu public, à découvert. Tentant de me ressaisir, je la regardai, appréciant le fait qu’elle n’avait pas coupé tout contact physique, pas complètement, pas soudainement. Ce fut d’ailleurs grâce au fait que sa main était dans la mienne que j’eus le courage de l’entendre me saluer, comme ça, sans barrière, sans personne pour nous surveiller et nous dire de ne pas nous rapprocher davantage l’un de l’autre. Mais surtout, le contact me servit lorsqu’elle me demanda comment j’allais. Une question bien banale, mais qui était bien différente en ces circonstances, une question qui remuait beaucoup d’émotions pour moi en ce moment. Évidemment que j’allais bien, il y avait bien longtemps que j’attendais ce jour, ce jour de délivrance où je pourrais finalement avoir une nouvelle vie. Jamais je n’avais envisagé me tirer de l’illégalité, mais on me l’avait imposé, et je ne pensais pas que c’était une mauvaise chose. Il fallait juste que je trouve comment m’y prendre et ça, c’était terrifiant, d’où le fait que je ne pouvais pas agir comme si tout allait bien. Inspirant profondément pour finir de reprendre ma contenance, je finis par dire: « Ça va… » Ce n’était pas grand-chose mais c’était le plus approprié. Pour le moment, ça allait. Lorsque j’allais commencer à faire la liste de tout ce à quoi je devais penser à prendre, à posséder, ce serait une autre histoire. « Merci encore… Pour tout… » Ce n’était pas la première fois que je la remerciais de son appui, de son aide, mais je pensais qu’une fois de plus n’était pas de trop, surtout maintenant qu’elle acceptait de m’héberger. J’espérais juste que je ne serais pas de trop dans son quotidien pour le temps que je serais avec elle. Ne réalisant même pas que je n’avais toujours pas lâché sa main, je lui demandai: « On y va… ? », ne cherchant pas à lui dire où aller, je m’en moquais. Nous pourrions marcher, se rendre chez elle directement, ça faisait peu de différence. Je lui faisais aveuglément confiance et je savais que qu’importe où elle m’emmènerait, je n’allais pas m’en plaindre, simplement heureux de pouvoir me promener librement avec elle.

Je n’avais pas vraiment de réponse à la question de Kaitlyn. Je n'avais pas tant d’amis. Elle était probablement la personne la plus importante dans ma vie depuis un bon moment maintenant, malgré la distance qui s’était creusée entre nous pendant quelques années. Mais je supposais, avec le peu d’expérience que j’avais, que ce n’était pas n’importe quel ami qui aurait pris un ancien criminel chez soi. Kaitlyn faisait quelque chose que je considérais et que j’allais continuer de considérer comme étant exceptionnel. Je n’allais pas lui répéter éternellement non plus, histoire de ne pas me faire envahissant, mais si elle en doutait, je n’hésiterais pas à le lui dire, je m’en faisais la promesse. Pour le moment, je me contentai d’hausser les épaules, lui proposant plutôt de quitter les environs. Pour aller où ? Je ne savais pas et pour tout dire, je m’en moquais un peu, tant qu’on allait ailleurs, tant que je pouvais redécouvrir un peu cette ville, avec des yeux bien nouveaux, différents. J’eus un petit sourire timide, mais amusé, à son commentaire. Horrible n’était pas un qualificatif bien approprié pour moi, compte tenu de ce que j’avais vécu dans cette prison, mais je n’avais pas envie d’en parler, pas aujourd’hui. La laissant me prendre par le bras, je ne fis aucune suggestion, et je n’eus pas besoin d’en faire une au final. Je ne le regrettai pas, puisque sa proposition était tout simplement parfaite à mon avis. Mon sourire se fit plus convaincant, alors que je répondis: « C’est parti ! », puisque je n’avais aucune raison pour refuser. En fait, elle m’aurait dit qu’elle préférait rentrer à son appartement, ma réponse aurait été la même. Éventuellement, un passage dans les boutiques pour me refaire une garde-robe, acheter des choses essentielles, ne serait pas de refus, mais pas tout de suite. J’avais encore un peu de temps à mon avis. Et puis, plus cette idée tournait dans ma tête, plus elle me plaisait, plus elle me faisait sentir libre, vraiment libre. « Tu sais, je ne me souviens pas de la dernière fois que j’ai mangé un hot dog. » Cinq ans, probablement. C’était le genre de nourriture que je mangeais vite fait parce que ça se payait bien en argent comptant, c’était un échange rapide, ça se mangeait sur le coin d’une rue. Inutile de mentionner que ce genre de repas n'avait pas la même signification aujourd’hui, à ce moment précis. J’allais clairement prendre le temps de le savourer comme jamais je ne l’avais fait. Et à cette idée, une autre surgit, encore plus impressionnante à mes yeux: « Je ne sais plus si j’ai déjà eu les pieds dans le sable, dans l’océan une fois… » Peut-être quand j’étais enfant, mais c’était tout. Autrement, je n’étais pas le bienvenu dans les journées à la plage et en prendre pour moi, ce n’était pas une idée que je me faisais bien souvent. Jamais pour tout dire. L’émotion me prit à la gorge et je me retrouvai à ne plus être en mesure de parler, me contentant de regarder Kaitlyn en ne sachant que dire de plus, complètement vulnérable, sans que ce soit une mauvaise chose dans ce cas.

Je savais que je n’étais pas à plaindre de ma situation. Oui, la prison avait été difficile, mais ça n’avait pas été un enfer non plus, essentiellement parce que j’avais pris mon trou, j’avais fait mon temps sans faire de remous. Parce que ce n’était pas mon genre à la base. Et puis, je n’avais pas eu le courage de m’indigner. Certains méritaient plus que moi d’y être, j’en étais persuadé, mais je savais que moi aussi, je le méritais. Je n’allais pas faire comme si j’étais totalement innocent et que si je n’avais pas pu profiter de la vie, de certaines choses simples, ce n’était pas ma faute. Certainement qu’avec une autre personne, je me serais tu, je n’aurais pas passé de tels commentaires sur le fait que je n’avais pas mangé un hot dog depuis une éternité. Je l’avais fait parce que c’était Kaitlyn, et parce que je savais qu’elle me jugerait pas. Comme je m’y en attendais, elle ne le fit pas, me répondant avec son enthousiasme contagieux, si bien qu’il m’arracha un sourire. Je ne répondis pas directement à son propos, venant à poursuivre le mien d’une certaine façon, sur le fait que je n’avais pas vu la plage, parce qu’on ne me l’avait pas permis, me rappelant que tout ça, c’était un nouveau départ, dont je voulais profiter, avec elle. Haussant les épaules, je lui montrai par ce geste que cela ne me gênait pas. Ce n’était pas comme si je n’étais pas immunisé à l’eau froide. Inutile de mentionner que les douches en prison n’avaient rien de relaxant et agréable. Mais je ne voulais pas m’accrocher à ce souvenir, même si tout ça était un peu plus lourd émotionnellement que je ne l’aurais cru dans un premier temps. Jamais on m’avait vraiment laissé exprimer ce que je ressentais après tout, parce que jamais je n’en avais eu la liberté. C’était si différent, si déstabilisant… Kaitlyn sembla le remarquer, au vu de comment elle me demanda comment j’allais. Je la sentis aussi prendre la main, et je ne sus faire autrement que de la serrer, doucement, et la caresser de mon pouce. Ce genre de contact, aussi banal soit-il, m’avait aussi manqué. Je rassemblai un peu de contenance et je lui répondis: « Oui, ça va aller… » Je ne disais pas ça que pour bien paraitre. Je n’avais pas à le faire, je ne voulais pas le faire, pas avec Kaitlyn. Et me sentant suffisamment confortable pour lui en parler davantage, j’ajoutai: « Tu sais, j’ai vraiment envie que ce soit un nouveau départ… J’ai envie de bien faire les choses, pour une fois… » Parce que tout dans ma vie avait été n’importe quoi. Je ne savais pas que je pouvais tout changer, mais je pouvais au moins me trouver un travail acceptable, cesser de me cacher dans quelque chose que je pensais bien pour moi et qui, au final, ne l’était pas. Et j’osais espérer que je ne serais pas seul, comme je le montrai en disant: « Je suis désolé si je suis envahissant à un point… Je crois que je vais avoir besoin de ton aide… Beaucoup… » Je pinçai les lèvres, me sentant un peu gêné au final de lui demander toute cette aide alors qu’elle, elle n’avait pas besoin que je m’impose ainsi. Après, peut-être ce ne serait pas aussi horrible que je pensais au final ? Je ne savais pas trop, je devais l’admettre, j’étais un peu perdu avec tout ça. Mais je ne voulais pas devenir un fardeau, pas si tôt. Secouant la tête, je cherchai à me ressaisir, et je dis: « Mais profitons de cette journée avant, d’accord ? », lui servant un petit sourire, de mon plein gré cette fois-ci.

Je le savais que Kaitlyn n’allait pas me laisser tomber. Je le savais avant même qu’elle accepte de passer me prendre et de m’héberger pendant un temps. En effet, elle était une des rares personnes en qui j’avais totalement confiance et ce, depuis longtemps. Très souvent, je me disais que j’avais été idiot, idiot de la laisser partir après notre nuit ensemble. Pas que j’étais dans un état d’esprit où je pensais que nous pourrions vivre et être heureux en tant que couple, mais parce que je savais qu’elle aurait eu une bien meilleure influence sur ma personne que tous ces gens que j’avais pu rencontrer dans ma vie jusqu’à maintenant. Voilà pourquoi je savais qu’elle serait importante, primordiale à mon retour - ou ma venue - à une société normale. Mais je ne voulais pas qu’elle se sente non plus obligée de jouer ce rôle auprès de moi. Je me sentais un peu gêné pour cette raison, mais bien rapidement, Kaitlyn chercha à me rassurer, tournant même le tout de façon un peu plus humoristique, disant qu’éventuellement, les rôles seraient inversés. J’eus un petit sourire, amusé par le propos, je crus quand même bon de lui répondre, plus sérieusement:  « Jamais. » Je savais bien que jamais je n’avais habité avec elle ou quoi que ce soit du genre, mais je me sentais assez confiant que je disais vrai. Non pas que je doutais de moi, mais parce que je me sentais bien avec Kaitlyn, et même après tout ce temps éloignés l’un de l’autre, ce sentiment était tout aussi vrai. Après, certainement que ça deviendrait plus lourd, quand il me faudrait prendre les choses au sérieux, ce qui ne serait pas aujourd’hui. Je repris mon sérieux à sa question, réfléchissant un peu, pour finalement lui dire, dans un haussement d’épaules:  « Je n’ai pas de liste précise… Pour tout te dire, j’ai envie de savoir ce que c’est, avoir une vie normale… » Ennuyant ? Quelque peu, je supposais, mais c’était tout ce que je trouvais à dire. Je n’avais pas de liste, je n’en avais jamais vraiment eu, même quand j’avais su que j’allais obtenir ma libération conditionnelle. J’avais encore tellement à assimiler, à apprendre j’avais l’impression. Pendant ma réflexion et mon discours, je n’avais pas lâché sa main, me surprenant à la caresser de mon pouce au passage. C’était rassurant, son contact était rassurant, elle était rassurante, tout simplement. Puis, je dis:  « Mais pour le moment je meurs de faim. » avec un petit sourire qui se voulait amusé, signe que je retrouvais doucement mon enthousiasme, et ma volonté de ne pas être trop dans ma tête constamment, histoire de ne pas gâcher cette journée.