C’était une journée normale de travail. Une journée normale de travail qui n’avait rien à voir avec ce que la majorité des gens appelaient une journée de travaille normale, mais rien d’irrégulier pour moi. Un réveil plus tardif que la norme, une matinée peu occupée, une douche pour terminer de me réveiller et du temps libre avant de devoir quitter pour la salle de spectacle pour une dernière répétition avant le concert de ce soir. Ce temps libre, je choisis de l’occuper d’une façon que je l’occupais trop peu souvent, en faisant du rangement, dans de vieilles boîtes que j’ouvrais que trop peu, que dans certains cas, je n’avais pas ouvertes depuis que j’avais emménagé dans cette maison. Paresseux ? Certainement. Pourquoi maintenant ? Je ne savais pas trop. Il fallait croire que le fait de retrouver ma soeur après trois décennies sans la voir avait fait surgir chez moi un sentiment de nostalgie qui ne me ressemblait pas et qui me donnait envie de reconnecter avec ces souvenirs que j’avais toujours préféré garder enfouis avant aujourd’hui. De la musique à fond dans toute la maison - merci le système stéréo de haute qualité - je me mets à ce ménage. Je pris des articles que je rangeai là où je jugeais qu’ils devaient être rangés, d’autres furent balancés dans de vieilles boîtes avec pour intention de m’en débarrasser dès que ce serait possible. Et puis, il y eut cette boite toute spéciale. Spéciale puisqu’elle contenait les quelques possessions que j’avais trouvé le courage de trimbaler de notre demeure de notre enfance, à Ellyn et moi, à ma famille d’accueil, et qui m’avaient suivi dans ma vie adulte sans prendre une grande place. Et ce fut dans cette boîte que je trouvai des souvenirs touchants. Des choses appartenant à nos parents. Des photos, des objets particuliers. Et il y avait cette chaine, qui appartenait à notre mère. Je ne savais pas pourquoi je l’avais. Il fallait croire que j’avais cru bon de la dérober avant qu’on m’envoie loin. Ça et l’alliance de mon paternel, que je portais toujours d’ailleurs, à la main droite. Je n’étais pas parvenu à m’en départir. Et je savais que j’aurais du mal à me séparer de ce souvenir de ma mère, mais maintenant, je savais qui aimerait l’avoir, et qui en ferait probablement un meilleur usage que moi: Ellyn. Prenant la chaine qui était dans une petite boite à bijoux, je la fourrai dans ma poche, terminant mon rangement, et décidant de m’arrêter après ça. Non seulement parce que c’était suffisant, mais parce que je devrais me préparer. C’est ce que je fis, et une fois prêt, il me restait encore un peu de temps. Me rappelant la chaine, je décidai de payer une petite visite surprise à ma petite soeur pour la lui donner. Ayant le temps de le faire, je pris la route, m’arrêtai devant l’adresse qu’elle m’avait donnée précédemment, et j’allai frapper à la porte, espérant une réponse, mais n’ayant pas l’intention d’être déçu ou insulté si ce n’était pas le cas, compte tenu que ma visite était totalement improvisée.

Ce ne fut pas Ellyn qui vint ouvrir la porte, mais bien une autre jeune femme, qui ne ressemblait pas à ma soeur, et qui ne semblait clairement pas heureuse de me voir. Pourquoi ? Je ne savais pas. Je ne l’avais jamais vue de ma vie, par conséquent, je ne pensais pas qu’elle avait une raison valable de m’en vouloir. À moins que je l’avais réveillée, que je la dérangeais ou quelque chose comme ça ? C’était possible. Qu’importe la raison, il fut évident que sa façon de me regarder, ou me dévisager serait un terme un peu plus approprié, me rendait inconfortable. Aurais-je mieux faire d’abandonner l’idée ? Prétexter que je m’étais trompé d’adresse et repasser une autre fois quand Ellyn serait vraiment là puisque je lui aurais envoyé un message au préalable ? Non, j’aurais l’air idiot. Et si elle habitait avec cette jeune femme ? Trop tard pour fuir en fait. Me râclant la gorge, je finis par dire:  « Hum… Est-ce qu’Ellyn est là ? » C’était une question normale, il me semblait. Je restai un minimum poli, je ne tentai pas de regarder dans la demeure ou quelque chose du genre. Tentant de soutenir le regard de la jeune femme devant moi, ayant toujours cette impression d’être fixé, jugé, je ne savais plus trop quoi utiliser comme terme, je finis par préciser:  « Je ne veux pas déranger, je veux seulement lui donner quelque chose… » Et comme si je me disais que prouver mon propos allait aider ma cause, qu’importe ce qu’elle était, je sortis la boîte de ma poche, sans toutefois l’ouvrir. C’était quelque chose de précieux, de personnel quand même, et j’avais envie que la première personne qui soit en mesure de le voir, ce soit Ellyn justement, et que je sois capable de lui expliquer d’où ce collier venait, pourquoi je le lui offrais aujourd’hui. Pas question que je fasse ça alors qu’elle n’était pas là et que j’étais aux prises avec ce qui avait tout l’air d’une mégère, juste pas l’âge, pas encore, je supposais.

Je pensai naïvement que pendant un instant, la jeune femme en face de moi s’était légèrement calmée. Je ne disais pas qu’elle était courtoise envers ma personne, mais j’aurais pu me contenter de l’information comme quoi Ellyn n’était pas là, justifier ma présence et voilà tout. Mais non, ç’aurait été beaucoup trop simple. À la place, la demoiselle commença à m’invectiver, violemment qui plus est. Et son ton de voix, le choix de ses mots… Tout portait à croire qu’elle était soit jalouse, soit… complètement cinglée. Et au vu du regard qu’elle avait eu dans un premier temps, j’étais tenté de pencher pour la seconde option, mais je n’allais pas le lui dire, j’avais l’intention de rester un minimum poli. Du coup, je tentai de m’expliquer et dire:  « Je voulais juste… » Je n’eus pas le temps de terminer qu’elle prit la boîte de mes mains presque violemment. Là, c’était trop. Je ne voulais pas qu’elle la lui donne d’elle-même, surtout pas avec cet air de jalousie sur le visage. Femme ou pas, je m’en moquais. C’était pour moi un bijou précieux, qui voulait signifier beaucoup, et il était hors de question qu’il soit entre les mains de n’importe qui. La jeune femme ayant été plus sympathique, les choses auraient été différentes, mais ce n’était juste pas possible maintenant. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, elle se retourna pour s’occuper d’autre chose, de quelqu’un d’autre. Bouillant de l’intérieur, j’attendis un instant, et finalement, je me rendis compte que c’était trop. La porte étant ouverte, je m’osai à entrer. Je ne regardai pas autour, je ne portai pas attention au gamin, et je repris ma boîte, disant:  « Vous savez quoi ? Je trouverai une autre façon de la lui donner. » Et me rappelant ces questions, comme quoi j’osais me pointer chez elle, je m’arrêtai un instant et je dis:  « Et vous pourrez toujours dire à Ellyn que son frère est passé. » J’avais mis l’emphase sur le « frère », ç’avait été plus fort que moi. Mon propos avait été sec, plus que je ne l’aurais voulu, mais je ne pensais même pas être tombé dans l’impolitesse à côté de l’arrogance et la possessivité de mon interlocutrice, qui ne le serait plus maintenant, je l’espérais. Sur ce, sans en dire plus, je remis la boîte dans ma poche, et je sortis, ayant pour intention de reprendre ma voiture et reprendre ma route, mais je me rendis compte que je tremblais, les nerfs ayant eu raison de moi. Sachant que je ne pouvais pas conduire ainsi, je décidai de m’arrêter juste après avoir quitté le terrain de la maison, et je sortis le paquet de cigarettes que je gardais toujours sur moi pour en allumer une et tenter de me calmer avec celle-ci, comme je le faisais probablement trop souvent, mais c’était une nécessité après cet échange auquel je ne m'attendais pas du tout et qui ne m’avait pas plu un seul instant.

J’avais beau avoir envie de me sortir de cette situation le plus rapidement possible, il n’en demeurait pas moins que j’étais capable d’observer, et j’avais bien vu l’air surpris de la jeune femme devant moi lorsque j’avais mentionné que j’étais le frère d’Ellyn, et non pas un amant quelconque comme elle semblait l’avoir pris si vite pour acquis. Je ne réagis pas dans un premier temps, mais lorsque je sortis et que j’en vins à prendre une cigarette pour me calmer, les choses vinrent à tourner quelque peu dans ma tête. La première chose qui y passa, outre la frustration de cette discussion, c’était le fait que je ne trouvais pas logique qu’elle se présente comme sa femme, mais que ça semblait tant la choquer… Ou bien il y avait quelque chose que je ne savais pas ? J’en savais un peu sur la situation personnelle de ma soeur, mais je ne lui avais pas posé plus de questions que ça, raison étant que je ne voulais pas la forcer de le faire de quelconque façon, mais aussi parce que nous avions tellement à rattraper que ce n’était pas nécessairement le premier sujet que nous avions abordé en détails pour le moment. Mais avec cet incident, il était évident qu’il faudrait que j’en tienne un mot à Ellyn. Je n’avais pas envie, chaque fois que je voulais visiter ma cadette, de me retrouver dans une situation sordide avec une folle furieuse à la porte. Évidemment, je pourrais réagir, j’étais capable de mettre mon pied à terre, mais je n’avais pas envie de le faire, parce que je ne voulais pas vraiment m’intégrer dans cette discussion, je ne voulais pas causer des problèmes à ma soeur. Est-ce que ça voulait dire que je ne la visiterais plus ? Si c’était ce qu’il fallait pour ne pas avoir ce genre de rencontre encore… Soudainement, je fus interrompu dans mes pensées par la jeune femme. Pourquoi ? Je n’étais pas assez loin ? Elle allait exiger une ordonnance restrictive contre moi ? J’exagérais peut-être mais avec cette mauvaise surprise je m'attendais à tout désormais. Mais non. Elle vint seulement me dire vers quelle heure Ellyn allait revenir, et qu’elle ne serait pas là. Pourquoi ? Je ne le demandai pas.  « Je ne pourrai pas repasser, mais merci de l’information. » Elle poursuivit, justifiant qu’elle ne savait pas qu’Ellyn m’avait retrouvé. Sa femme, encore ? C’était un peu étrange. Ellyn ne voulait pas lui en parler ? Je ne savais pas. Ce que je remarquai, c’est qu’elle ne semblait pas vraiment encline à s’excuser. Ne pensant pas que j’avais quoi que ce soit à me reprocher, je ne fis que lui dire.  « Maintenant vous le savez alors. » Je repris une bouffée de ma cigarette pour le coup, n’ayant pas envie d’ajouter quoi que ce soit. J’étais encore énervé, je n’avais pas demandé à être agressé de la sorte alors que ma présence partait d’une bonne intention. Si elle quittait ici et maintenant, ce serait parfait, à mon avis. Mais en même temps, ça ne voulait pas dire que j’en étais vraiment heureux. Clairement, j’aurais voulu rencontrer la personne qui semblait partager la vie de ma soeur dans des circonstances différentes. À moins que ce ne soit pas le contexte, mais l’individu qui soit le problème ?

C’était bien à savoir ça par contre. Personnellement, puisque mes concerts avaient lieu majoritairement en soirée, c’était mes matinées qui étaient majoritairement libres. Et évidemment, aujourd’hui était l’exception. Je n’avais pas eu de chance, ou j’avais mal ajusté mon emploi du temps, à voir comment considérer la question. Personnellement, je préférais me dire que je n’avais pas eu de chance, raison étant que non seulement, j’avais pris le seul jour où elle n’était pas disponible, mais ç’avait mené à une rencontre dont j’aurais très bien pu me passer. Enfin, les choses se calmaient, un peu, mais je ne savais toujours pas comment le prendre, comment réagir. D’un côté, j’étais soulagé qu’elle vienne me dire qu’elle ne serait pas là, mais de l’autre, je ne me sentais pas à l’aise à l’idée de m’en réjouir. J’avais le sentiment que ça cachait quelque chose qui ne me regardait pas, qui était délicat, et le fait de sentir que je ne pouvais pas poser la question ne me plaisait pas nécessairement, bien que je devais faire avec. Toujours un peu sur mes gardes, je ne me fis pas impoli pour autant, pas plus en tout cas, et je lui répondis:  « Merci. » concernant l’information. Et puis, ça venait me montrer d’une certaine façon qu’elle s’était un peu… calmée ? Je ne savais pas si c’était le terme le plus approprié dans le cas présent pour cette situation, mais bon, j’allais faire avec. Je n’ajoutai pas quoi que ce soit d’autre, laissant un silence s’installer, silence que je comblai avec la dernière bouffée de ma cigarette. Encore quelque peu sur les nerfs, l’envie me prit d’en allumer une seconde et la brûler en marchant vers ma voiture - bien qu’elle n’était pas très loin - mais je fus obligé de me raviser au moment où la jeune femme reprit la parole, venant à m’expliquer un peu, je supposais, pourquoi elle ne serait pas là, ce qui faisait en sorte qu’elle n’était pas au courant. Dans ma tête, ça ne venait pas excuser son comportement. Quel genre de personne venait à se jeter limite en sortant les griffes sur un inconnu qui ne s’était même pas présenté, qui n’avait pas ouvert la bouche pour dire un seul mot ? C’était ainsi que je m’étais senti, et je pensais que mon sentiment était légitime, au vu du simple regard qu’elle m’avait lancé en ouvrant la porte. Pourquoi ? Parce que j’étais un homme, voilà la déduction que j’en faisais. Je ne savais pas non plus comment me sentir par rapport au fait qu’elle semblait juste… tourner en rond, à défaut de s’excuser. Croyait-elle que son comportement était justifié ? Je ne savais pas. Et comme si cette situation ne portait pas suffisamment à confusion comme ça, voilà qu’elle vint à me proposer d’entrer pour un café. Il y avait de cela quelques secondes, j’aurais certainement pris mes jambes à mon cou mais là… Je ne sus pas trop, j’eus une hésitation. Devrais-je vraiment ? Et si Ellyn tenait à cette personne, peut-être serait-ce mieux que je tente de lui donner une autre chance, passer outre ce mauvais départ ? Tentant de me croire que c’était la meilleure chose à faire, mais loin d’en être convaincu, je finis par soupirer, hausser les épaules, et dire  « Oui… Pourquoi pas… » Il ne me restait pas énormément de temps avant de devoir me mettre en route vers la salle de spectacle, qui n’était pas à côté quand même, mais bon, un café, ça se buvait rapidement. Après, si ça venait à mal tourner, je pourrais toujours quitter avant, mais j’espérais que non, pas alors que je décidais de lui laisser une chance pour un second départ… Ou parce que j’étais naïf de le faire.

Conscient de la présence de l’enfant dans la maison, je n’avais toutefois pas porté une grande attention à sa personne, au vu de la tension qui régnait dans la situation actuelle. Ce fut au moment où la jeune femme vint à me le présenter que je le regardai vraiment. Je me surpris à constater qu’il avait des traits en commun avec ma soeur. Peut-être même que je ressemblais un peu à ça quand j’étais petit, même si ça, je ne le savais pas vraiment et que les quelques photos que j’avais encore ne pourraient pas me permettre de le confirmer. J’aurais voulu sourire un peu au commentaire de Maxine, mais il vint me frapper, plus que je ne l’aurais cru dans un premier temps. Ellyn m’avait déjà mentionné de l’existence de son fils, mais assimiler l’idée que j’étais tonton… Ça me faisait vachement bizarre pour le coup. Je supposais qu’il faudrait seulement que je m’y habitue, et ce n’était pas maintenant que je pourrais le faire. Prenant une gorgée du café que la jeune femme m’avait servi, j’appréciai le fait qu’elle avait choisi de se présenter. Tardivement, très tardivement même, mais je n’allais pas passer de commentaire. Si j’avais accepté d’entrer dans la demeure, c’était pour essayer d’arranger les choses et tirer une conclusion autre que celle que j’avais en tête concernant Maxine, alors passer un commentaire qui pourrait être jugé comme déplacé, ce n’était pas le moment pour ça. Je ne dis rien, jusqu’à ce que mon interlocutrice vienne à me demander comment j’avais retrouvé Ellyn. À cela, je répondis:  « En fait c’est plutôt elle qui m’a retrouvée. » J’eus un sourire en coin amusé. J’avais fait des efforts par le passé pour tenter de retrouver sa trace, en vain, si bien que j’en étais venu à la triste conclusion que jamais je n’allais la revoir un jour. Mais ce n’était pas ce qui s’était passé, heureusement. Rassemblant mes idées dans ma tête, je dis:  « Elle m’a raconté qu’elle a vu une affiche annonçant un concert auquel je participais, elle est venue et voilà. » Je me rendis compte après-coup que sans contexte, c’était un peu étrange, voire un peu prétentieux, d’où le fait que je précisai:  « Je suis musicien. Dans un orchestre. » Je m’arrêtai là par la suite, attendant de voir si j’avais répondu à la question, si elle en avait une autre pour moi ou quoi que ce soit du genre.

Il me fit tout drôle d’apprendre qu’Ellyn avait parlé de moi à la jeune femme. Non pas qu’elle n’en avait pas le droit, au contraire, elle faisait ce qu’elle voulait. Et l’accueil qu’elle m’avait réservé n’avait rien à voir avec cette sensation. En effet, c’était surtout par rapport à moi, par rapport à comment j’avais réagi suite à l’accident. Après, je ne savais pas si elle lui en avait parlé depuis qu’elle m’avait revu ou bien avant, mais je n’osai pas le demander. Ce que je savais par contre, c’était que moi, je n’en parlais pas. Non pas que je voulais vivre dans le déni de cet évènement qui avait marqué ma vie de bien des façons, mais parce que souvent, c’était juste trop douloureux et ça me rappelait à quel point j’avais tout perdu d’un seul coup. Au final, je ne dis donc rien. Évidemment que j’eus envie d’en demander un peu plus sur le « en ce moment ». Il m’intriguait, puisque tout ce qui se passait depuis que j’étais arrivé ne donnait pas l’impression qu’il y avait une vie de famille harmonieuse en ces lieux. Mais je ne me voyais pas vraiment poser des questions, faisant en sorte que je laissai un silence s’installer, sans savoir comment le combler. Visiblement, le fait qu’elle ait été tellement sur la défensive à mon arrivée me rendait encore un peu inconfortable. Je n’allais pas lui dire, craignant de provoquer un autre froid et, cette fois-ci, me faire chasser pour de bon. Et je ne voulais pas annoncer que tout s’était mal passé à Ellyn. Parce que je savais que c’était inévitable, il faudrait que je lui en parle d’une façon ou d’une autre, mais je souhaitais encore lui dire qu’il y avait eu une conversation civilisée au final entre Maxine et moi. Puis, elle brisa le silence. N’ayant pas de mal à y répondre, je dis:  « Oui, depuis environ huit ans. » Je fis un effort, j’ajoutai le détail, et plus encore, je m’osai à lui demander:  « Et vous aussi, si j’ai bien compris ? » Si mes souvenirs ne me jouaient pas des tours, Ellyn m’avait précisé qu’elle habitait à Bishopville elle aussi, mais dans l’espoir où ça montrait que je voulais entretenir la discussion, je l’avais demandé malgré tout, laissant quand même ma question vague, laissant à Maxine répondre ce qu’elle avait envie de me répondre.

J’eus un petit accroc mental lorsque Maxine utilisa le terme « nos » pour parler des enfants qu’elle avait avec Ellyn, compte tenu que pour le moment, je n’en avais vu qu’un seul, et ma soeur ne semblait pas m’avoir parlé de plus. Est-ce que c’était parce qu’elles planifiaient d’en avoir d’autres ? Ça ne me regardait pas, donc je ne posai pas la question. De plus, j’étais probablement le moins bien placé pour avoir cette conversation, compte tenu que ce n’était pas dans mes plans. Je ne partageais pas ma vie avec personne, j’avais du mal à avoir une relation durable, donc un tel engagement à long terme ? Visiblement, ce n’était pas pour moi. Et ça, c’était sans parler du fait que je ne m’étais jamais vraiment posé la question, à savoir si j’en voulais ou pas. Parce que j’étais persuadé que si j’y réfléchissais un peu plus, j’en viendrais à la conclusion que ce n’était pas fait pour moi. Mais surtout, je savais que si je demandais, ça laisserait probablement place à une discussion un peu inconfortable, parce que les choses ne semblaient pas toutes roses et toutes jolies entre elles. Sans rien dire alors, je la laissai continuer, prenant la parole que lorsqu’elle parlait des attraits de la ville. À cela, je répondis:  « C’est vrai que c’est tranquille ici. » Adolescent, il était évident que je n’aurais pas su tenir un tel propos. Cette ville, je la maudissais pour plein de raisons, plus ridicules les unes que les autres. Mais c’était surtout parce que cette ville, elle représentait tout ce que j’avais perdu. Puis j’étais allé à New York, et lors de mon retour, un peu de quiétude n’avait clairement pas fait de mal. Gardant mon histoire pour moi, je demandai:  « Et tu fais quoi, comme métier ? » Je lui demandais surtout par curiosité, pas vraiment pour faire une investigation supplémentaire ou quelque chose du genre. J’espérais juste ne pas me montrer indiscret, même si je me disais que c’était une question qui était, en mon sens, sommes toutes légitime.

Je fus assez sur pris de l’entendre me faire cette réponse. Je ne savais même pas pourquoi j’étais surpris, et heureusement, j’avais gardé un visage plutôt impassible. Je n’avais pas d’idée préconçue, et je savais ce que c’était, être victime de préjugés. Moi-même, quand je disais que j’étais musicien dans un orchestre, on me croyait peu souvent. Simple musicien, ça passait mieux, mais dans un orchestre ? Pas vraiment. Était-ce les cheveux longs ou les tenues un peu négligées comparativement à ce que je portais lorsque j’étais au travail ? C’était possible, et j’avais appris à ne pas trop m’en soucier. Mais parce que ça demeurait désagréable, je n’allais pas faire la même chose à Maxine. Je demeurai donc sans trop grande réaction. Je ne dis rien, la laissant poursuivre sur son propos, me permettant de lui demander:  « Et… Ça te fait hésiter à continuer ? » Je ne savais pas d’où la question m’était venue. Je n’étais pas le plus doué pour entretenir une conversation et clairement, je ne m’attendais pas à lui demander une telle chose ici et maintenant. Mais je ne le regrettais pas. Je me disais que si elle ne voulait pas m’en parler, certainement qu’elle n’aurait pas tenu son propos. Enfin, moi c’était comme ça que je l’interprétais. Peut-être que j’avais faux, mais je ne voulais pas me faire peur et me dire que j’avais potentiellement pu la vexer ou un truc dans le genre. Si elle ne voulait pas le dire, je n’allais pas en faire tout un cas non plus. Me résignant au fait que j’avais posé la question et que je ne pouvais qu’attendre de voir si j’allais avoir une réponse, et si j’en avais une, ce qu’elle serait.