Nommée X à la naissance, Theo est un enfant né sous X, d'une mère dont il ignore tout et d'un père dont il ne saura jamais rien. Baladé de foyer en foyer les six premières années de sa vie, il fut adopté par Daniel et Miranda Bates au mois de décembre 1999, après presque un an à vivre sous leur tutelle. Si Theo développa des liens extrêmement fort avec Miranda, l'appelant et la considérant comme sa mère, il n'eut pas la même joie avec son père adoptif. Ayant toujours mal supporté la stérilité de sa femme, Daniel fut, pendant des années, un homme aigri, reprochant tout et n'importe quoi à son épouse, délaissant leur fils adoptif et fuyant le domicile familial dès qu'il en avait l'occasion.

Il avait douze ans lorsque sa mère se tua. Dépressive après des années de mariage avec un homme si dur et l'échec de leurs tentatives suivantes pour adopter (souvent du fait de Dan qui ne voulait plus élever d'enfants d'autres gens), elle n'avait pas eu la force de continuer. Dan dés-adopta Theo moins de trois mois plus tard, renvoyant le gamin en deuil dans le système d'assistance à l'enfance.

Theo ne fut jamais ré-adopté, alternant les séjours en famille d'accueil et en foyer, jusqu'à l'âge de quinze ans, où une famille d'accueil accepta de l'accueillir jusqu'à sa majorité, s'il ne faisait pas de vague. Bien qu'un peu bagarreur et couche-tard aimant traîner dehors, le jeune homme ne faisait pas vraiment de vagues, ce qui lui permit de rester dans sa famille d'accueil jusqu'à ses dix-huit ans. Il n'a plus aucun contact avec le couple depuis son déménagement de chez eux, mais garde toujours d'étroits contacts avec deux des enfants passés dans ce foyer.

Suivi par un psy à partir de ses douze ans et de sa désadoption, il a eu des suivi plus ou moins régulier, dépendamment des périodes de sa vie et est actuellement à nouveau suivi par un psychologue une fois tous les quinze jours. Ces séances lui donnent une sorte de stabilité chaque fois qu'il vit des événements difficiles.

Il n'a eu qu'un seul grand amour dans sa vie : Cheyenne. Ils étaient jeunes. Trop jeunes sans doute, mais déjà à l'époque, Theo n'avait aucun doute que la jolie blondinette rebelle était l'amour de sa vie. Imprudent, mal informé et trop casse-cou pour penser que cela pouvait leur arriver aussi, Cheyenne tomba enceinte, alors qu'ils étaient à peine majeurs. Après de longues discussions, ils décidèrent de garder l'enfant et de poursuivre leur histoire d'amour. Pour Theo, l'adoption était inconcevable, étant lui-même un enfant abandonné et baladé par le système et obliger Cheyenne à avorter était hors de question. Garder l'enfant et l'élever était donc la seule et unique option, même si ses instincts paternels, à cet époque, étaient plus que bancals.

Trop jeune, trop ambitieux, trop freiné dans ses intentions, trop peu qualifié et trop désespéré pour obtenir plus que des petits boulots payant une misère, la vie de père commença rapidement à devenir compliqué pour Theo qui commença peu à peu à se disputer de plus en plus souvent avec Cheyenne. Lorsqu'une dispute de plus éclata, pour une broutille, un mélange de rien et d'inutiles et qu'il vit (encore une fois) les larmes monter aux yeux de son tendre amour, à cause de lui, il partit, claquant la porte. Une fois plus calme, Theo réalisa combien il était mauvais pour elle. Pour elles, même, devenant ce qu'il avait toujours craint : la version moderne de ce père adoptif qui avait causé tous les maux et détruit sa jolie famille. Il rentra le cœur lourd ce soir-là, décidé à partir, à abandonner femme et enfant, prétextant chercher sa liberté pour qu'elle ne le retienne pas, tandis qu'il essayait de se convaincre lui-même qu'il lui rendait la sienne, au contraire.

Les premiers mois furent une véritable torture. Être loin de celle qu'il aimait, loin de leur enfant, fut plus difficile qu'il ne le pensait et il dut – un nombre incalculable de fois – se retenir de l'appeler en pleine nuit pour s'excuser, pleurer sur sa misérable décision et la supplier de le reprendre. A contrario, il fit tout son possible pour avoir l'air le plus lumineux possible, chaque fois qu'il lui rendait visite ou venait prendre Octavia pour le week-end, lui assurant qu'il était pleinement heureux, maintenant qu'il avait repris les études de ses rêves. Il se saigna aux quatre veines pendant cette période, pour donner une pension alimentaire digne de ce nom, dormant dans des chambres à la journée minable et se privant de certains repas pour économiser pour Cheyenne et Tavie.

C'est un peu dans cette sorte de misère économique, sociale et affective qu'il rencontra Lena. Grande brune filiforme, elle était tout l'opposé de Cheyenne et était barmaid à mi-temps dans un boui-boui où il avait l'habitude de traîner les soirs les plus sombres. Un jour où il n'avait même pas de quoi se payer une deuxième bière, elle lui offrit le gîte, lui promettant un canapé très confortable. Ce soir-là, pourtant, ce n'est pas sur le canapé qu'il s'endormit. Sa relation avec Lena commença ainsi, sans vraiment qu'il ne s'en rende compte. Un soir, elle le manipulait pour le ramener chez elle et coucher avec lui et le lendemain, ils se tenaient la main en faisant les boutiques. Lena était brillante, pleine de vie, pas franchement rebuté par son air de chien battu et assez forte pour lui faire se bouger les fesses. S'il ne pouvait oublier Cheyenne, il pouvait, avec elle, envisager un avenir amoureux sans elle.

Terminant tous deux leurs études et commençant à travailler dans leur domaine de prédilection, ils purent emménager dans une vraie maison, arrêtant d'aller de l'appartement de l'un, à l'appartement de l'autre et commencer à envisager un avenir à deux, ponctuée par la présence d'Octavia, un week-end sur deux et les brefs passages de son ex lorsque la logistique nécessitait qu'ils se rencontrent. Et les années passèrent, plusieurs, sans que Theo n'ait vraiment le temps de les voir, la croissance de sa fille pour seule indication que la vie n'était pas un éternel jour sans fin, ponctué par les mêmes moments de tendresse avec Lena, les mêmes disputes, la même froideur de Cheyenne et le bal de la garde alterné.

« On devrait faire un bébé », annonça Lena un matin, de but en blanc, entre le café et les croissants. « Pardon ? » Elle soupira « Un bébé, toi et moi. On devrait en faire un. Je veux que tu me fasses un bébé. Et toi ? Tu veux un bébé de moi ? » Il avait répondu que oui, sans vraiment savoir s'il était sincère ou non. Un autre enfant ? Il en rêvait parfois, oui. Il aurait aimé qu'Octavia ai un frère ou une sœur. Peut-être plusieurs. Il ne souhaitait pas que sa fille grandisse seule, comme lui avait pu l'être, se souvenant avec un peu de douceur de combien la vie était plus agréable quand ils étaient plusieurs dans les familles d'accueil. Mais après quatre mois d'essai infructueux, les résultats médicaux furent sans appel : Lena avait divers problèmes la rendant très peu fertile et son utérus ne pouvait accueillir la vie. Theo fut si désemparé par la peine de sa petite amie qu'il la demanda en mariage, encore une fois sans vraiment réfléchir à s'il le voulait vraiment ou non. Ils se marièrent l'été suivant, dans un flou de dentelles et de fleurs et les rires d'Octavia.

« Ça pourrait être notre bébé », souffla un jour Lena, entre la tarte aux pommes et le film de Noël, alors qu'elle regardait Octavia, couché sur le ventre devant la télévision, ses jambes se balançant et sa petite tête ronde entre ses mains. « Quoi ? » Elle soupira, roulant des yeux. « Octavia. On pourrait la prendre. » Il la regarda avec des yeux ronds. « La prendre ? À Cheyenne tu veux dire ? » Elle hocha la tête. « Elle pourra toujours la voir. Elle l'aura pendant la moitié des vacances, un week-end sur deux et à Noël ou au jour de l'an par alternance. On pourra lui payer cette école privée qui a de si bons résultats et on habite juste à côté, donc ça serait plus logique qu'elle vienne vivre avec nous. Et puis, je sais qu'elle te manque. Tu ne savais pas trop comment être un bon papa, au début, mais maintenant tu l'es. » Il avait été réticent au début. Il ne pouvait pas faire ça à Cheyenne. Mais Lena avait raison. Octavia lui manquait terriblement, chaque fois qu'elle n'était pas à la maison et il avait plus d'argent que sa mère. Il pouvait lui payer plus de choses qu'elle ne le pouvait et il faisait son maximum pour les aider, mais Octavia vivait toujours dans un quartier qu'il n'appréciait pas trop, proche d'une école de qualité moyenne et dans un appartement encore plus délabré qu'à l'époque où ils n'avaient que cela à s'offrir. Cheyenne refusait de quitter leur ancien appartement, malgré toutes les insistances de Theo pour trouver un logement plus décent, abordable et plus proche de la maison.

Décider finit par être simple. L'annoncer à Cheyenne fut bien plus dur. C'est la tête basse qu'il vint la voir un soir où il savait que leur fille était absente pour l'informer de leur décision et du fait qu'ils avaient déjà pris contact avec un avocat. C'est le cœur lourd en plus qu'il repartit, conscient d'avoir une nouvelle fois fait pleuré et brisé le cœur de celle qu'il avait tant aimé.

« On va peut-être trop loin. On a déjà une garde alterné plutôt satisfaisante. On a quand même Tavie une semaine sur deux. On pourrait fonder notre propre famille. Lui donner un petit frère ou une petite sœur. » Le regard amer qu'elle lui lança signifia bien à Theo qu'elle n'avait pas voulu suivre le chemin de ses pensées. « Je ne peux pas avoir d'enfant et tu le sais ! » « Mais il y a d'autres moyens de fonder une famille. Tu as quand même des ovules qui peuvent être viables et on pourrait envisager une mère porteuse... ou adopter ? » Après ça, tout était partie très vite. Lena avait commencé à crier, lui disant qu'il ne pouvait pas comprendre ce qu'elle vivait, qu'elle avait déjà l'enfant d'une autre à élever et qu'elle n'en voudrait pas d'un deuxième... Des choses qui firent rapidement écho aux choses que Dan disait à sa mère. La dispute fut rude, douloureuse, pleine de cris et de larmes et quand il claqua la porte, Theo parti s'installer dans le premier bar venu et n'en sortie qu'une fois que le barman refusa de le resservir, lui intimant d'aller retrouver celle avec qui il s'était disputé pour s'excuser.

C'est ce qu'il fit. Sauf qu'il ne rentra pas chez lui, mais alla frapper à la porte de la seule femme envers qui il voulait s'excuser ce soir-là. Quand elle ouvrit la porte, il resta un moment à observer Cheyenne, se souvenant toujours douloureusement d'à quel point elle était belle. « Je veux pas que tu me détestes », dit-il, plus triste que jamais. Quand elle lui assura qu'elle ne le détestait pas, il sentit son cœur s'emplir de joie et tenta de la prendre dans ses bras pour un câlin, mais manquant de s'étaler comme la viande saoule qu'il était. Il parvint néanmoins à la saisir pour l'enlacer, lui chuchotant ce secret qu'il gardait enfoui depuis si longtemps : « Je t'aime encore. » La suite fut un jeu de persévérance. Elle assurant qu'il était trop ivre pour réfléchir, lui tentant de lui prouver par les gestes toute son honnêteté. La retrouver cette nuit-là fut comme respirer après des années d'apnée. Quand il l'embrassa enfin, son cœur se remit à battre avec émotions. Quand il honora son corps de déesse, ce fut comme si elle le ramenait à la vie. Mais toutes les nuits magiques ont une fin et au petit matin, la dure réalité de leur erreur les rattrapa tous deux. Il aurait voulu fuir la réalité encore un peu. Aurait rêvé qu'elle se réveille doucement, lui souriant. Il l'aurait embrassé, lui aurait sans doute fait l'amour une fois de plus et lui aurait juré qu'il n'avait, en vérité, jamais cessé de l'aimer. Mais elle était lucide, contrairement à lui et elle était honnête, contrairement à lui. « On a déconné là... t'es marié ! » Il resta un moment, surpris. « Quoi ? Tu n'as pas aimé ? » Que pouvait-il dire d'autres ? C'est en te quittant que j'ai déconné ? C'est mon mariage qui est une erreur ? C'est toi que j'aime depuis toutes ses années ? Il n'avait jamais été prêt à regarder la vérité sur son histoire avec Lena. La brune, bien souvent, était bien plus lucide que lui, sa proximité et son affection pour Cheyenne étant presque toujours en question dans leurs disputes. Elle savait qu'il était encore en deuil de leur relation quand elle l'avait rencontré et si elle avait profité de sa peine et de son besoin de réconfort pour coucher avec lui la première fois, elle avait persévéré à devenir sienne en espérant lui faire oublier son ex. Peine était de constater, après toutes ses années, qu'elle n'avait pas vraiment réussi. Il avait foncé dans une relation pansement et n'avait jamais voulu ôté le strap depuis, le renforçant un peu plus chaque année. Il aimait Lena. Bien sûr qu'il l'aimait. Il avait un tas de raisons de l'aimer vraiment profondément. Mais il n'avait jamais été amoureux qu'une fois et n'avait jamais cessé depuis.

Elle le mit à la porte, une fois de plus, lui intimant qu'il ne s'était jamais rien passé. Il l'aimait peut-être encore de tout son cœur, mais elle, elle était véritablement passée à autre chose. Elle ne le détestait pas et peut-être qu'une part d'elle aurait toujours cette affection pour lui qui faisait qu'elle avait pu coucher avec lui de nouveau, mais elle ne voulait plus de lui. Elle était passée à autre chose et il devrait se contenter de ce qu'il avait déjà. Alors, comme à chaque fois, Theo remit ses œillères, rejoignit sa femme et s'excusa platement. « Je veux Octavia dans notre maison », pleura Lena, le faisant se sentir toujours plus coupable de faire pleurer une autre femme qu'il aimait et doucement, il l'enlaça, la serrant fort dans ses bras. « D'accord », concéda-t-il en posant un baiser sur son front. « D'accord... »