J’avais eu une journée plutôt chargée. J’avais passé la matinée au commissariat, histoire de donner certains témoignages de sorte à boucler des dossiers. Puis, j’étais rentré à l’appartement, afin de continuer avec mes propres dossiers. Facturations, clients à contacter, simplement pour les tenir au courant de commencer leur affaire progressait. C’était parfois difficile. Je ne pouvais pas râler, cela signifiait que j’avais du boulot, que j’avais de l’argent qui rentrait et qui venait d’ailleurs que du commissariat pour les services que je pouvais leur rendre. Les choses allaient bien, mais parfois, je ne dirais pas non à un petit coup de main. Heureusement que je ne vivais pas seul dans mon logement et que j’avais un minimum d’aide pour entretenir le tout, parce que sinon, il était vrai que je n’y arriverais jamais. Devrais-je prendre un assistant ? Je ne savais pas trop. C’était un changement auquel je ne me sentais pas prêt. Je ne pouvais pas laisser une tonne de gens jongler avec des dossiers qui, pour la plupart, étaient particulièrement confidentiels. Du coup, je continuais à me débrouiller, mais les journées étaient parfois longues. Et là, ce soir, j’étais débordé, épuisé, si bien que je ne vis pas l’heure, et que lorsque Skylar m’appela en me disant que le repas était prêt, je me trouvai surpris, comme si elle venait de me ramener à la réalité. Je secouai la tête, regardai mes documents, et je décidai de les laisser tomber pour ce soir. Sortant de la petite pièce qui me servait de bureau, puisque j’avais laissé la plus grande pièce disponible pour Skylar et sa fille, j’ouvris la porte, et c’est là que l’odeur du repas vint me chatouiller les narines, faisant monter la salive à ma bouche, m’arrachant un:  « Ça sent bon… » Ce fut après quelques pas que je vis la table bien mise. Enfin, il était évident qu’elle avait fait un effort pour tout ça, un effort que je ne lui demandais pas au quotidien. Avec un petit sourire amusé, je dis:  « C'est en quel honneur tout ça dis donc ? » Non pas que je pensais qu’il fallait un honneur quelconque pour avoir un bon repas ensemble, mais je la taquinais un peu, et j’étais aussi curieux de voir ce qu’elle allait me répondre, en espérant que ce ne soit pas trop long et que ma question ne soit pas une raison pour me priver de repas, puisque je réalisais que j’avais terriblement faim.

Je me sentis légèrement gêné lorsque Skylar m’expliqua que tout ça, c’était pour me remercier, encore une fois, de ce que je faisais pour elle. Faire quoi ? Faire mon boulot et l’héberger, c’était ce que je supposais. Je ne voyais pas ce que ça pouvait être d’autre. Et oui, ça me gênait parce que je n’avais pas le sentiment de faire grand-chose. Bon, âme solitaire de nature, il était vrai que ç’aurait pu être dérangeant, avoir une personne et un enfant de plus dans cet appartement. Je l’avais redouté d’ailleurs lorsque je lui avais proposé de venir s’installer ici. Je l’avais regretté, je m’étais maudit tout seul avant qu’elle arrive dans mon appartement et dans ma vie. Maintenant, je ne le regrettais pas. Elle n’était pas une locataire désagréable à vivre, sa fille n’avait rien d’une morveuse chieuse qui venait jouer dans mes pattes constamment, je ne le vivais pas si mal que ça, contrairement à ce que j’avais pensé dans un premier temps. Du coup, il n’y avait pas de mal, d’autant plus qu’elle ne restait pas à rien faire. Elle cherchait un emploi, elle s’occupait, la voir se remettre sur pied, c’était beau à voir, et ça me touchait plus que je l’imaginais dans un premier temps. Compte tenu de tout ça, le plus naturel, à mon avis, était de lui dire:  « Il n’y a pas de quoi, je t’assure. » Qui aurait cru que j’allais dire une chose pareille à ce moment ? Certainement pas moi et pourtant, je le pensais, comme le sourire timide que je lui servis vint l’appuyer par la suite. Et ce sourire, il ne fit que s’agrandir lorsqu’elle m’annonça le plat qu’elle avait préparé. Comment pourrais-je ne pas aimer ça ? Habitué, forcé de manger rapidement et de ne pas pouvoir toujours choisir ce que je mangeais, je n’étais pas difficile. Mais un plat maison, je ne pouvais pas m’en plaindre. Avec un certain enthousiasme qui était de retour après une journée sans l’avoir, je dis:  « J’adore. » Ce n’était pas nécessairement mon plat préféré, mais j’aimais ça, et qui sait, peut-être qu’après avoir goûté aux lasagnes de Skylar, mon avis allait changer.  « Je peux faire quelque chose pour t’aider ? » Elle semblait plutôt bien gérer dans la cuisine, mais je n’avais pas envie de rester assis à ne rien faire non plus si je pouvais lui donner un coup de main.

Je n’avais pas l’habitude que les gens fassent les choses pour moi, et expriment leur gratitude de la sorte. Du coup, je ne savais pas nécessairement comment réagir, et inutile de dire que c’était un peu troublant. C’était à un point que lorsque Skylar insista pour me remercier ainsi, tout ce que je sus faire, ce fut de hausser les épaules, ne sachant pas vraiment ce que j’allais ajouter. Impuissant et ne sachant faire mieux qu’être passif, je m’installai comme elle me le demanda, esquissant un petit sourire tandis que je la regardais couper les parts et servir, constatant que ces lasagnes semblaient aussi délicieuses que leur odeur le laissait présager. J’avais de la chance pour le coup. Pour tout dire, si ça n’avait pas été de ce repas, j’aurais été du genre à me faire un sandwich improvisé avec ce qui se trouvait dans le frigo, même s’il n’y avait que de la moutarde et une mince tranche de jambon ou quelque chose du genre. Je n’allais pas cracher sur un tel repas. Bien que surpris par toutes ces petites attentions, je fus quand même en mesure de lui dire:  « Merci. », à la fois pour le service et son invitation à en prendre plus. La part qu’elle avait mis dans mon assiette était plutôt généreuse, je ne pensais pas en manquer, mais réalisant à quel point la faim me travaillait, je n’étais pas prêt à me prononcer, pas tout de suite. Ayant porté un peu trop mon attention sur le plat, je ne vis pas la bouteille de vin que Skylar avait également sorti. Je perdis un peu mon sourire et mon enthousiasme, laissant place à l’inconfort, inconfort de la voir me proposer me servir un verre, réalisant qu’elle ne savait pas que… Je n’en buvais pas. Je ne me voyais pas lui mentir, après tout ce qui s’était passé je ne pouvais pas prendre un verre pour jouer les hypocrites. Du coup, je dis  « Non merci, ça ira. » J’aurais très bien pu m’en tenir à ça, tout simplement, et ç’aurait fait l’affaire à mon avis. Mais nous habitions ensemble, et si jamais elle venait à me poser la question chaque soir, prenant pour acquis que j’allais lui dire oui un jour ? Prenant une inspiration, je finis par dire:  « En vérité Skylar, je ne bois pas d’alcool… » Je m’arrêtai là pour le moment, ne sachant pas si je devais tout lui expliquer, lui expliquer en partie. Je n’en parlais pas vraiment, ceux qui étaient au courant savaient toute l’histoire derrière, elle, elle ne le savait pas, et j’étais trop peu certain de savoir comment le lui raconter, si je venais à le faire évidemment.

Au travers de ses excuses et de son air gêné, il était évident que Skylar était inconfortable. Je me sentais un peu coupable, mais je savais que je n’avais pas le choix. On m’avait prévenu, que c’était mieux de le dire, que de prétendre et trouver des excuses pour ne pas en parler ou pour faire comme s’il ne se passait rien et que je n’avais pas envie de boire ou quelque chose du genre. C’était un déni, ça n’aidait pas du tout. Et je voulus en parler, mais la jeune femme fut un peu trop rapide dans ses gestes. Par conséquent, j’eus tout juste le temps de lui dire:  « Sky… » sans ajouter quoi que ce soit. Je la laissai se lever, ranger la bouteille de vin - non sans que je laisse échapper un discret soupir - m’offrant de l’eau. Me résignant à ne pas argumenter pour le moment, j’haussai les épaules et je dis:  « Soyons fous… Eau gazeuse. » J’eus un sourire en coin qui trahissait un peu le fait que je m’en moquais un peu, que je cherchais surtout à détendre l’atmosphère. Mais rapidement, je me rendis compte que ce n’était pas suffisant. J’attendis qu’elle revienne à table, au moins, et finalement, je pris la parole, pour dire:  « Tu n’as pas à t’en vouloir, Skylar. Je ne te l’ai pas dit, tu ne pouvais pas le savoir. » Bon maintenant elle le savait, je l’avais dit. Mais qu’en était-il pour la suite ? Pour répondre à la question, je crus bon d’ajouter:  « Ne te prive pas pour moi par contre. Si tu souhaites en boire, tu peux le faire, il n’y pas de souci. » Il était évident qu’il y a de cela un an ou deux, jamais je n’aurais su lui tenir ce discours. Mais maintenant, j’étais capable de tolérer la présence d’alcool autour de moi sans sentir de lutte intérieure pour ne pas en prendre. Terminant avec un petit sourire, je me dis que c’était un bon moment pour changer de sujet, et dire:  « Allez, je meurs de faim. Bon appétit ! » N’attendant pas plus longtemps, je pris une première bouchée, que je savourai et je ne le cachai pas, lui disant:  « C’est délicieux, vraiment. » tout en soutenant le regard de celle à qui le commentaire s’adressait, histoire de lui montrer que je ne disais pas ça par politesse, mais parce que je le pensais vraiment.

Je secouai la tête afin de montrer à Skylar que ça ne devait pas la gêner une seule seconde. Je l’avais fait sans hésiter, sans broncher un seul instant. Elle avait de la chance d’arriver que maintenant en fait. Parce qu’il y avait de cela quelque temps, je n’aurais pas eu une réaction pareille, loin de là même. Je n’aurais pas su le lui dire, ou du moins, je n’aurais pas su le faire de façon aussi… diplomatique. Parce que je pensais que je m’y étais plutôt bien pris pour le coup. Je savais que ce n’était pas parfait, mais c’était certainement mieux que ce que j’aurais pu faire alors que je commençais tout juste à me faire à l’idée d’être sobre, de ne rien consommer pour me changer les idées, assouvir mes sens ne serait-ce qu’un peu. Je le prenais mieux, et je ne voulais surtout pas que la jeune femme se prive pour moi. Enfin, ce que je voulais dire, c’était qu’elle pouvait faire ce qui lui plaisait. Si elle préférait se trouver des excuses, qu’elle le fasse. Je n’allais pas la juger. Enfin, sur le coup, je soupirai un peu, et je haussai les épaules, me résignant à la laisser faire ses réflexions. Je n’allais pas commencer à lui dire qu’elle n’avait pas à se soucier de sa ligne, parce que je la trouvais jolie comme ça. Pas que je ne le pensais pas, mais je me disais que ça pourrait potentiellement jeter un malaise et j’étais persuadée qu’elle n’avait pas besoin de cet embarras supplémentaire. Je décidai alors de commencer à manger et commenter plutôt son plat qui, en toute franchise, était plus que délicieux à mon avis. Elle prit le commentaire avec humilité, sauf que là, tout de suite, je ne me vis pas ne pas dire quoi que ce soit par la suite. Donc là, je lui dis:  « Mais ça me fait plaisir, tu sais ? Tu n’es pas obligée de faire quoi que ce soit… » Bon après, je ne voulais pas être obligé de ramasser ses trucs sales partout, mais outre le strict minimum pour vivre avec sa fille, je ne voulais pas qu’elle se sente forcée à faire quoi que ce soit d’autre. Pour continuer de détendre l’atmosphère un peu, j’ajoutai:  « Mais bon, tu cuisines mieux que moi… » Je disais surtout cela à la blague. Pas le compliment, mais je ne voulais pas qu’elle comprenne que je voulais absolument qu’elle cuisine. Si elle voulait encore manger mes macaronis au fromage, tant mieux. Mais je n’allais jamais l’obliger à faire quoi que ce soit, raison étant que:  « Tu sais, j’aime bien cette situation, juste… que tu sois là. » Et pour moi, lui dire une chose pareille, ce n’était pas juste pour être poli. C’était limite une confession. Je ne lui avais jamais dit comme ça, faisant souvent comme si ça ne me gênait pas et voilà tout. Il fallait croire que là, je me faisais à l’idée que c’était plus que ça. Ça ne me ressemblait pas de le dire ainsi, peut-être que finalement j’en ressentais le besoin, pendant que nous étions dans ce qui ressemblait limite à une confession.