C’était lendemain de concert. Un lendemain de concert, je ne parvenais pas à me lever tôt, je ne parvenais pas à fonctionner avant la fin de la matinée. Et pourtant, aujourd’hui, il fallait que ce soit différent, il fallait que je me bouge. Est-ce que c’était difficile de me motiver à le faire ? Pas vraiment pour tout dire. Parce que c’était pour une bonne cause, et ce n’était en rien désagréable. En effet, il était prévu que je paie une visite à la classe de mon amie Jezabel, afin d’amuser les élèves de sa classe et passer un bon moment à jouer de la musique. J’avais prévu arriver un peu avant la pause repas, histoire de passer du temps en sa compagnie pendant qu’elle n’était pas avec ses élèves, m’installer, et que tout soit prêt au retour de la récréation. Enfin, il n’y avait pas tant à préparer, c’était surtout une excuse pour pouvoir être avec mon amie pendant un temps, puisqu’elle me manquait et j’aimais être en sa compagnie. De ce fait, bien que le son du réveil-matin fut quelque peu agressant, lorsque je me rappelai pourquoi je devais me lever après un nombre d’heures de sommeil qui, en mon sens, n’était pas suffisant, je n’en fis pas tout un cas. Je me rendis à la salle de bains pour prendre une douche, pour finalement me rendre à la cuisine avant de prendre un café corsé qui termina de me réveiller. Je pris un petit-déjeuner sommaire, ne cherchant pas à trop manger, ayant prévu d’inviter Jezabel à aller manger un morceau ensemble, quitte à ce que ce soit à la cantine de l’école, même si cette option me plaisait plus ou moins. Je m’habillai ensuite, optant pour un jean relativement propre et une chemise un peu plus informelle. Le mi-chemin entre ma tenue décontractée et ma tenue de concert, ce serait suffisant à mon avis. Prêt à y aller, je pris ma guitare qui était dans son étui, mes clés, mon portefeuille et mon téléphone, et je me rendis à ma voiture, direction l’école. Quelques minutes avant l’heure prévue de mon arrivée, je me garai dans le parking de l’école. Ayant un peu de temps devant moi, j’en profitai pour fumer une cigarette non loin de mon véhicule. Lorsque le moment fut venu, je pris mes affaires et je me rendis à l’entrée, et je m’annonçai à la réceptionniste qui avait pour tâche désormais d’appeler Jezabel pour qu’elle vienne me voir, ce que j’attendais désormais avec impatience.

Il ne fallut que quelques instants pour que je ne sois plus seul avec la réceptionniste ici, à l’entrée de l’école. En effet, je n’eus pas le temps de faire quoi que ce soit d’autre que de regarder un peu le vestibule que mon amie arriva, ne se gêna pas pour me gratifier avec des marques d’affection. Cela ne me dérangeait pas, bien au contraire, puisque nous étions proches, puisque c’était chose normale avec elle, les accolades et même les baisers sur la joue. Ce qui me surprit, c’était qu’elle s’était permise de le faire sur son lieu de travail. Évidemment, je n’allais pas m’en plaindre, et je ne passai aucun commentaire à ce sujet, me contentant de lui rendre son étreinte. Et si la réceptionniste voulait partir des rumeurs, tant pis pour elle. À ses propos, je répondis:  « Je vais bien, et toi alors ? Je suis content de te voir. » L’étreinte prit fin à ce moment, puis Jezabel me proposa d’aller dans sa classe pour que je puisse y déposer mes affaires, en l’occurence ma guitare. Non pas qu’elle était nécessairement lourde, j’avais l’habitude de transporter mes instruments, qu’importe ce qu’ils étaient. Évidemment, j’avais plus habitude de transporter mon violon, qui était plus petit et qui pesait moins, mais ce n’était pas ce que je considérais être une grosse adaptation. Mais il était vrai que c’était un brin encombrant, alors je ne disais pas non à cette idée. Acquiesçant, j’attendis que Jezabel me montre le chemin, ne connaissant pas ces lieux par coeur. Peu de temps après, nous arrivâmes à sa salle de classe. Pour la première fois, je pus la voir, décorée pour les élèves dont elle s’occupait. J’avais beau être créatif quand il était question de musique, pour une telle disposition, je n’aurais pas été capable de faire quoi que ce soit. Voilà une des raisons pour lesquelles je n’étais pas enseignant. J’aimais mon art, mais l’expliquer, tout installer et remettre en contexte, je ne pensais pas que je serais nécessairement capable. Je préférais de loin jouer, bien que je savais que j’avais beaucoup de chance de pouvoir vivre de ce que j’aimais le plus faire et ce que je faisais le mieux. Ne me voyant pas passer de commentaire trop personnel de peur de sonner égoïste, je me contentai de dire, un petit sourire en coin:  « C’est mignon, tout ça. » en désignant la classe d’un signe de tête. Cherchant ensuite du regard un endroit où je pourrais poser ma guitare sans qu’elle soit encombrante, je la déposai lorsque je trouvai, ce qui me permit de reporter mon attention vers mon amie et lui demander:  « Tu as déjà mangé ? », me contentant de cette première question pour commencer, attendant de voir ce qu’elle me répondrait pour la suite.

Un sourire satisfait apparut sur mes lèvres au moment où Jezabel me dit que non, elle n’avait pas mangé. Cette satisfaction fut encore plus évidente à la mention du fait qu’elle mourait de faim. C’était à croire que j’étais arrivé au bon moment et que j’avais bien prévu mon coup et ce, sans même la consulter avant. En effet, je lui avais dit que j’arriverais probablement un peu d’avance, question de principe, mais je n’avais pas parlé d’aller manger une bouchée. Est-ce que Jezabel et moi étions connectés ? C’était à croire que oui et ce n’était pas moi qui allait m’en plaindre. Perdant un peu mon sourire, non sans avoir un air un brin amusé au visage, amusé de la voir stresser un peu à l’idée que j’aie déjà mangé, je ne fis pas durer le suspense trop longtemps - ce serait méchant - et je lui dis:  « Non, et j’ai faim moi aussi. » Mon petit-déjeuner n’avait pas été bien consistant et c’était parfait comme ça. Mais ce détail, elle n’avait pas besoin de le savoir. Et puis, il était, à mon avis, pas mal plus agréable et charmant de lui dire:  « Je me suis dit que j’arriverais suffisamment d’avance pour manger avec toi. » C'est là que je lui servis mon sourire le plus charmant pendant quelques secondes, avant d’ajouter:  « Par contre je ne sais pas trop ce qui est bon dans les environs, donc je te laisse être mon guide ! » Je connaissais Bishopville, je savais quels restaurants j’aimais et je n’aimais pas, je connaissais aussi les endroits que je devais éviter, compte tenu de mon régime alimentaire. Mais après, je ne savais pas exactement le temps que Jezabel pouvait se permettre de prendre à l’extérieur de l’école, si elle pouvait s’en permettre. Je l’espérais pour tout dire, puisque même si je n’allais pas le dire à voix haute, je n’étais pas certain que la cantine de l’école me fasse vraiment envie. Je n’en avais pas des souvenirs nécessairement agréables, même si j’étais conscient qu’il était possible que la qualité de la nourriture servie ait évolué au fil du temps.

Non seulement Jezabel et moi étions sur la même longueur d’ondes sur le fait d’aller manger en compagnie l’un de l’autre et ce, sans se consulter, mais plus encore, elle vint à me faire une proposition de restaurant que je ne pouvais juste pas refuser; des sushis. Jezabel, elle me connaissait un peu trop bien parfois. Et si d’habitude, cela pouvait me perturber de me faire prendre limite de court comme elle venait de le faire avec d’agréables surprises, ou choses banales susceptibles de me plaire, avec elle, ça ne me dérangeait pas. Au contraire, je trouvais ça juste agréable venant d’elle, parce que je ne me sentais pas jugé sur mes choix alimentaires, je ne me sentais pas jugé sur la personne que j’étais avec mes complexes et mes caprices, sachant parfaitement que j’en avais beaucoup et que je n’étais pas du genre à vouloir les changer pour que les gens soient en mesure de mieux vivre avec ma personne. Jezabel m’avait accepté comme j’étais, et c’était pour ça que je l’appréciais autant. Sourire au coin des lèvres, je vins à lui répondre:  « Tu sais me prendre par les sentiments toi… » C’était une blague plus qu’autre chose, c’était surtout pour lui signifier que pour moi, la question ne se posait pas; j’étais partant. Mais malgré ça, lorsqu’elle me demanda la confirmation, je ne tardai pas à lui dire:  « C’est parti ! » En toute galanterie, je tendis la main à mon amie pour qu’elle la prenne afin de m’accompagner. Et ça, je le faisais sans complexe, parce que justement, c’était Jezabel. Après, je pensais que je serais plus du genre à garder une certaine retenue, compte tenu que nous étions sur son lieu de travail, mais au vu de l’accueil auquel j’avais eu droit à mon arrivée, je me disais que ce n’était clairement pas la fin du monde. Tandis que nous prenions la route vers la sortie, sortie vers laquelle Jezabel devait me guider pour le coup, parce que pour tout dire, je n’avais pas tant fait attention au trajet. Mais sortir d’une école, ça ne devait pas être bien complexe, si ? Enfin, quand on connaissait les lieux, ç’allait bien, et j’étais avec une personne qui les connaissait, donc je n’étais pas trop craintif pour le coup.  « Tu as combien de temps de libre ? » Je savais qu’elle m’avait donné une heure pour être présent, mais qui sait, peut-être il lui faudrait revenir avant, se préparer, je ne saurais pas le dire. J’étais surtout curieux de savoir combien de temps je pourrais avoir seul avec mon amie en ces circonstances, même si je savais que rien ne nous empêchait de nous retrouver encore une fois très bientôt, à condition que nos emplois du temps concordaient.

Une heure, c’était un temps qui me semblait raisonnable pour manger un bon repas. Évidemment, c’était à condition que le service ne soit pas trop long, mais puisque Jezabel ne semblait pas s’en inquiéter et que c’était surtout elle qui devait être de retour à temps pour ses élèves, je ne voyais pas pourquoi, personnellement, ce serait une source de stress. Évidemment je ne le dis pas ainsi au moment où mon amie me demanda si ça me convenait. À la place, j’eus un petit sourire et je lui répondis:  « C’est parfait. » Sur ce, nous continuâmes à marcher, et tandis que nous faisions ça, je lui avouai:  « Je suis content. Ça fait un moment qu’on a pas passé du temps ensemble comme ça. Ça me manquait. » Craintif d’exposer mes sentiments en temps normal, je n’avais pas du mal à le faire avec Jezabel, parce que je lui faisais confiance, parce que je m’entendais bien avec elle. J’espérais juste qu’elle n’allait pas penser que c’était un reproche, parce que ce ne l’était pas du tout. J’avais mon travail et des choses à faire, tout comme elle. Elle travaillait le jour et moi, en soirée. Inutile de mentionner que notre emploi du temps n’était pas nécessairement compatible à ce niveau, mais nous parvenions à se voir quand même, ce moment en étant un exemple. Mais je me dis que c’était encore plus important et pertinent de prendre des nouvelles de mon amie le temps que je le pouvais, ce qui ne serait pas le cas lorsque nous serions de retour pour retrouver ses élèves afin que je puisse leur jouer un peu de musique. Du coup, je lui demandai:  « Alors dis-moi… Qu’est-ce qui se passe pour toi ces derniers temps ? » J’estimais que c’était une façon tout à fait normal de prendre de ses nouvelles. J’avais aussi fait exprès de rester vague, histoire de lui donner l’occasion de me raconter ce qu’elle voulait me dire, sans me montrer insistant sur un détail quelconque.