Depuis le temps que tu ères dans cette ville sans aller en cours, tu la connais par coeur, ou presque. Quelques petits recoins que tu ne connais pas très bien encore, mais tu te retrouves assez facilement. Tu arpentes les rues sur ta place, tu oscilles entre les voitures tes cheveux aux vents. C'est ta nouvelle planche, tes nouvelles baskets. Tu passes devant un café et sur ta route y'a un gars qui se tient avec gobelet dans les mains. « Hey! Bouge! » Tu sais pas s'il t'a entendu ou s'il t'ignore. Tu roules des yeux et ralentit tout en passant devant lui. Tu tournes ton regard dans le sien en le regardant avec large sourire. D'une main discrète, tu viens pousser sous le gobelet pour le lui renverser dessus et tu continues à la même vitesse. Deux mètre plus loin tu te retournes en lui faisant un clin d'oeil, un baiser souffler tout en terminant sur un doigt d'honneur.

Cela faisait peu de temps que tu étais arrivé à Bishopville. C'était beaucoup plus petit que New York, plus paisible déjà, et sans doute beaucoup moins amusant. Mais ton père se trouvait dans le coin et t'avais besoin de le retrouver. Mais avant d'aller le rejoindre à l'adresse indiquée sur le testament du père Ryder, t'avais décidé de faire une halte pour boire un café. Un café noir, sans sucre, comme tu l'aimais. Il y avait un peu de monde, à ta grande surprise d'ailleurs, t'avais imaginé cette ville comme étant un coin paumé en Amérique, sans que ça soit non plus un petit village plein de paysans. C'était même plus grand que tu l'aurais cru. La preuve, il y avait un café, style Starbucks, sans la marque fétiche et c'est à cet endroit là que tu commandas ton café. Il faisait beau dehors et t'avais pas envie de rester enfermé. T'aurais peut être dû.
Tu sortis à l'extérieur et pris quelques secondes pour porter la boisson à tes lèvres. Tu bus les premières gorgées quand t'entendis une voix féminine t'ordonner de bouger. Tu ne fis pas attention à cet ordre de sa part, mais elle se vengea en allant donner un coup à ton gobelet. Une partie de ton café se renversa sur toi, ton gobelet tomba au sol et tu restas figé, le temps de te rendre compte de la situation. Tu suivis des yeux l'auteur de cet homicide pour t'apercevoir qu'il s'agissait d'une jeune fille, environ ton âge physique, peut être moins, et elle te fit un baiser soufflé suivi d'un doigt d'honneur. Tu l'observas de loin en levant les yeux au ciel. T'avais pas de temps à perdre avec les imbéciles, tu valais mieux que ça. Par contre, ton café était tombé à l'eau et ça te faisais moins plaisir.
"Hey! T'as pas plus important à faire que de m'emmerder d'entrée de jeu? Mon café et ma chemise sont fichus à cause de toi" lui dis-tu, un peu agacé, sans en faire un drame non plus. T'allais pas appeler la police pour si peu.

Il ne s'est pas bougé. Il est resté là. Il est resté planté là comme un con avec son café. Tu t'es donc permise de lui faire comprendre que lorsqu'on lui demande quelque chose il vaut mieux se pousser que rester planté là à siroter en douceur. Non, mais sérieux, pour qui il se prenait ? Le prince de je ne sais ou. Y'a pas de royauté dans le coin, donc qu'il s'écarte de ton chemin. T'es plutôt fier de ton coup. Tu t'es arrêtée à deux mètres à peu près. Tu t'es retournée pour lui balancer tes insultes à deux balles. Tu le regardes de la tête aux pieds et inversement. Tu grimpes sur ta planche et tu te fais glisser vers lui. Tu coupes net ta course devant lui, laissant tes cheveux lui revenir en pleine gueule. Tu arques un sourcil avec un sourire en coin. Tu repousses tes cheveux vers l'arrière et incline la tête sur le côté. Tu le défis presque du regard. Ton pied vient écraser le gobelet vide au sol. « Non, j'ai rien de bien important à faire des mes journées dans cette petite ville. Y'a peut de gens intéressant. Toi tu l'es ou t'es qu'une chemise couverte de café ? » Tu viens le narguer et passant tes doigts sur la tache de café, comme pour la faire disparaître. On sait très bien que ça ne partira pas comme ça. Tu descends de ta planche, tu la récupères d'une main et tu pousses contre son torse le faire reculer. « La prochaine fois on recule, monsieur café noir. » Tu lui fais un clin d'oeil avec un sourire espiègle.

Il n'en fallut pas longtemps à la jeune femme pour venir te rejoindre sur sa planche. A vrai dire, t'avais aucune idée de ce qu'elle pensait et t'en avais vraiment rien à foutre. Si ça ne tenait qu'à toi, la discussion en serait restée là, t'avais d'autres chats à fouetter et t'étais pas le genre à créer les conflits. Enfin, si, c'était carrément ton genre, mais pas de cette manière là. T'avais beau avoir seize ans depuis peu, tu estimais avoir un âge beaucoup plus avancé en réalité, et ce grâce à ta brillante intelligence. Tu ne sais pas trop ce que t'as pris de lui balancer ça, toi qui préférais ne pas lui parler, parce qu'elle n'en valait tout simplement pas la peine et que tu lui trouvais rien de spécial.
Elle te défit du regard et t'en fais de même, tandis qu'elle écrabouillait ton gobelet au sol. Tu échappas un petit rire étouffé. Tu ne savais pas tellement ce qu'elle cherchait, et au fond, ça t'étais bien égal. Elle reprit alors la parole pour te répondre qu'elle n'avait rien d'autre à faire de sa vie dans cette petite ville et qu'il y avait peu de gens intéressant. Elle te demanda alors si toi tu l'étais et tu mouillas tes lèvres sans détacher ton regard du sien.
"Ah ouais? Ça ne m'étonne pas. Si t'arrives aussi bas, c'est qu'il y a vraiment rien à foutre par ici. Et toi, tu l'es, intéressante?"
Elle descendit de sa planche et te forças à reculer. Tu le fis, mais qu'un tout petit peu. Tu n'allais pas te laisser mener à la baguette comme un petit toutou! D'ailleurs, tu ne sais toujours pas ce qui te prends de ne pas tout simplement partir. Elle te dit alors que la prochaine fois, tu devais reculer, en t'appelant 'monsieur café noir' et tu secouas les épaules, indifférent.
"Mouais. La prochaine fois tu demanderas plus gentiment, Princesse. 'Peut être' qu'à ce moment là, je t'écouterais."
Oui enfin, c'était pas garanti.
"Par ailleurs, tu me dois un café. Et une chemise neuve."

Pourquoi t'es revenu sur tes pas en fait ? Bonne question. Pourtant, t'es là, devant lui, ton regard ancré dans le sien. Il a de beaux yeux. Ça changerait quoi une discussion avec un garçon pour une fois ? Non? Ils sont peut-être plus intéressant que ce patelin. Tu ne saurais dire, mais il a déjà l'air plus intéressant que les autres. Ce petit regard de défi qu'il te rend t'arrache un sourire de satisfaction, mais y'a ce petit geste de sa part qui attire tes yeux ailleurs. S'humecter les lèvres, vraiment? T'arques sourcil et tu laisses tomber un faible rire. Tu ramènes ton regard dans le sien un instant et en chassant faussement la tache tu glisses ta main dans sa poche pour récupérer sans qu'il ne s'en rende compte son portable. Tu hoches légèrement la tête à ses mots. « HuMm. T'auras qu'à le découvrir par toi-même. » Tu le fais ensuite reculer et une fois écarté de la voie que tu voulais prendre tu lui montres son portable. Tu prends sa main pour le déverrouiller. Tu te permets et t'entres ton numéro accompagné de ton surnom. Tu enregistres et tu le regardes. Tu gardes son portable en échange riant à sa remarque. « Princesse ? J'avoue que c'est un statut qui me convient. » Quand tu penses au statut de ton père, ouais, ce serait un peu le cas. Puis il revient sur l'histoire du café et de sa chemise. Tu roules des yeux et soupire. « C'est bon pour le café, mais la chemise, tu oublies. » Tu lui plaques son portable sur le torse et le contournes. Tu prends discrètement son portefeuille et te diriges vers le café. Tu te retournes vers lui marchant de reculons. Tu glisses un doigt entre tes lèvres. « Sans sucre alors. » Tu entres dans le café et ressors quelques minutes plus tard avec un nouveau gobelet. « Et voilà un café noir pour monsieur café noir. »

Vous restâmes un long moment à vous défier du regard, sans parler. C'était comme un concours à celui qui va lâcher le moins vite, et plus le temps passait, plus cette fille t'intriguais. Pas qu'elle soit intéressante, mais elle te faisait un peu passer le temps, et ça te permettait d'avoir une première approches des gens qui vivaient dans ce patelin. Cependant, elle avait une façon de répondre et une manière de se comporter qui, mine de rien, te plaisait plutôt bien pour une fille de son âge. Elle semblait ne pas être si bête qu'elle en avait l'air, mais tu n'en savais encore rien.
Lorsqu'elle te dit que t'auras qu'à le découvrir par toi même, tu levas à nouveau les yeux au ciel. Tu secouas la main et soupira. Qu'est ce que tu foutais là, sérieusement?
"Ouais, peut être. Au mieux, j'm'en fou."
Peu après, elle te montra qu'elle venait d'attraper ton téléphone portable, objet ayant une valeur inintéressante à tes yeux depuis que t'avais quitté New York, mais qui pouvait potentionnellement en avoir dans les mois à venir. Elle le déverrouilla et entra son numéro de téléphone en te disant après que le surnom que tu lui avais trouvé lui convenait. Tu soupiras. Est ce que t'allais garder ce numéro? Certainement pas. En fait, t'étais plutôt agacé et t'avais hâte de partir. Pourtant, tu te tendis toi même un piège lorsque tu lui parlas de ce fichu café et elle te contourna pour aller t'en repayer un, après t'avoir rendu ton téléphone. T'hésitas à partir et la laisser planter là, mais tu n'en fis rien. T'étais un peu con sur les bords. D'une part, elle était la première personne à laquelle tu parlais véritablement depuis que t'étais entré dans cette ville et ta curiosité te titillait légèrement. Elle revint un peu plus tard avec ta boisson, un café noir sans sucre, comme promis. Tu ne savais pas vraiment comment elle avait deviné que c'était comme ça que t'aimais le café, d'où ton nouveau surnom, mais ça t'allais très bien ainsi.
"Merci, Princesse. Comme quoi, tu saisis vite les choses, c'est bien."
Même si tu devinais qu'il y avait anguille sous la roche. Pour qu'elle ait exécuté ta demande aussi facilement, c'était qu'il y avait une couille dans le pâté quelque part. Tu devinas très vite ce que c'était.  
"Maintenant, tu me rends mon porte monnaie s'il te plait?" lui demandas-tu calmement en tendant la main vers elle. Bizarrement, tu ne sentais plus le poids dans ta poche et t'étais loin d'être stupide.

Monsieur je m'en foutisme alors ? Tu prends note. Tu observés chacun de ses gestes en détails. Depuis le temps que tu traînes dans cette ville, c'est la première fois que tu le vois en ville, mais bon, c'est pas en quelques jours que tu connais tout le monde, non? En fait, t'approche facilement le mois. Quelqu'un avec sa prestance, surtout pour son âge, tu t'en serais rapidement rendu compte, tu l'aurais déjà remarqué. Donc, nouveau en ville. Tu hausses légèrement les épaules d'indifférence. « C'est pas comme si t'avais mieux à faire en arrivant dans cette ville. » Puis portable en main tu lui balances ton numéro. Pourquoi ? Aucune idée, tu saurais dire pourquoi, mais c'est fait, c'est fait hein. Y'a rien de plus à dire. Puis c'est pas toi qui va te plaindre qu'il ne le garde pas. C'est qu'un garçon après tout. T'es intriguée par ce type et ça te fait plutôt étrange. Tu t'en serais totalement foutu en temps normal. Tu joues la dociles, il veut un autre café ? Tu feras les pas pour aller lui en chercher un autre, mais tu ne le payera pas. Tu lui avais piqué son portefeuille, tu avais utilisé son argent pour le faire. Tu aurais pu te prendre des billets et les garder, mais pourtant tu ne l'as pas fait. Tu l'as rejoint pour lui donner son nouveau gobelet. Le café ne t'intéresse pas, en fait, on pourrait même dire que le gout te répugne. Tu arques un sourire espiègle lorsqu'il te demande son portefeuille. Un s'il te plait ? Tu laisses tomber un rire et le sort de ta poche. Tu le dévisages un instant sans pour autant le lui rendre. Tu fais mine de réfléchir avant de récupérer ta planche. Tu l'agites un moment avant de le déposer contre sa main. Tu montes sur ta planche et lui lance un dernier regard. « À plus, monsieur café. » D'un coup de pied, te voilà partie dans un courant d'air reprenant ta route.