Izy regardait fixement cette nouvelle maison, dans cette nouvelle rue, cette nouvelle ville, ce nouveau pays dont elle ne parlait pas un mot. A cet instant, elle se disait qu'elle aurait du mieux écouter ses cours d'anglais. C'est vrai, si elle se perdait dans la rue, elle serait totalement incapable de demander son chemin à quelqu'un. Izy ne comprenait pas cette soudaine décision d'émigrer aux Etats-Unis. Adolescente qu'elle était, elle prenait ça comme une attaque personnelle. Quinze ans. C'était le nombre d'années pendant lesquelles elle s'était épanouie à Naples. Elle y avait vécu ses première amours, ses premiers chagrins, ses premières amitiés. Parlons-en de ses amis ! Tous ses amis qu'elle quittait du jour au lendemain, toute sa vie en fait. Et pour quoi ? Des parents qui bossaient jour et nuit, des petits frères et sœurs dont elle devait s'occuper en tant qu'aînée. Elle avait trop souvent entendu « Isabella, veille bien sur ton frère et tes sœurs, on va rentrer tard ». Surtout ses sœurs, parce qu'Enzo, il était un peu plus vieux, il avait moins besoin qu'on garde constamment un œil sur lui mais la petite dernière de cinq ans, c'était une autre histoire. Ça lui foutait la rage. Elle n'avait pas envie de préparer le petit-déjeuner parce que ses parents étaient déjà partis travailler. Pas envie de réchauffer le dîner parce qu'ils étaient encore au travail. Ils n'avaient peut-être pas beaucoup d'argent quand ils vivaient à Naples, mais au moins, ils étaient chez eux. L'Italie lui manquait déjà, son odeur, ses saveurs, sa musique. Ici, Izy se sentait véritablement étrangère et pas à cause de la nationalité inscrite sur ses papiers d'identité, elle avait l'impression qu'elle ne serait jamais chez elle à Bishopville.

Être la petite nouvelle du bahut, tout le monde sait bien que c'est la loose. Mais être la petite nouvelle qui ne parle même pas la langue, c'était encore pire. Cette sensation d'être une bête de foire, ces gens qui lui parlent comme à une débile. Elle comprenait un mot sur deux mais c'était surtout le ton de leurs voix. Mais petit à petit, Izy se faisait des amis, l'anglais devenait moins flou à ses oreilles, les autres découvraient enfin sa véritable personnalité... pas au plus grand bien de tout le monde. Izy, c'est le type de fille qu'on adore ou qu'on déteste, il y a peu de juste milieu quand on la connaît. C'est une grande gueule, le genre à foncer dans le tas même quand elle n'a aucune chance, qui ne baisse pas les yeux et refuse le plus souvent d'admettre ses torts à cause d'une fierté plutôt mal placée. Quand elle est dans une mauvaise journée, elle envoie bouler les gens sans raison et il ne reste plus qu'à se taire et passer son chemin pour ne pas devenir un punshing-ball. Mais parallèlement, elle est aussi une fille en or sur qui on peut compter. Vous savez, cette amie qui peut débouler chez vous à quatre heure du matin juste parce que vous avez besoin de parler ? Cette amie, c'est Izy. Celle qui va cracher sa haine sur l'ex de son amie pour lui remonter le moral, parce que c'est le rôle d'une amie. Celle qui va chercher des noises à quelqu'un qui a blessé un proche. Elle est aussi celle qui va, au culot, aborder un homme ou une femme que son ami.e n'ose pas aller voir quand il ou elle est sous le charme. Avec les gens qu'elle aime, elle est dévouée alors elle pardonne difficilement la trahison. Grâce à tout ça, Izy savait que les gens qui restaient auprès d'elle le faisaient pour de bonnes raisons, parce qu'ils avaient décidé de l'adopter avec ses qualité et ses défauts. Ce lycée qu'elle avait affectueusement appelé "lycée de merde" dès son arrivée, elle avait fini par s'y faire sa place, ses amis, ses ennemis et finalement elle commençait à apprécier cette nouvelle vie. Du moins, certains aspects. Quand les cours se terminaient, elle rangeait sa cape d'adolescente pour revenir jouer les mères de substitution à la maison. Sauf qu'Izy, elle n'avait jamais été la bonne cuisinière que sa mère s’efforçait de faire d'elle. Devenir une femme et une épouse parfaite n'était pas dans ses plans. Alors quand Enzo lui lâchait de retourner à la cuisine, c'était pour l'énerver. Et ça marchait. Très bien. Trop bien. Son frère, elle l'adorait autant qu'elle le détestait. Elle aimait sa famille mais parfois, elle lui sortait par les yeux. Souvent parti en vadrouille, Izy se retrouvait souvent à devoir gérer seule ses petites sœurs alors quand il ramenait ses fesses pour jouer le mec autoritaire, Izy avait envie de le claquer. « Qu'est-ce que tu la ramènes toi ? T'es jamais à la maison alors la seule chose que t'as le droit de faire, c'est de bien bien fermer ta gueule ! » Ce genre d'amabilités, il en recevait souvent. Quelque part, Izy jalousait son cadet. Lui qui semblait si libre de ses mouvements alors qu'Izy devait souvent décliner des invitations à sortir avec ses potes parce que les parents n'étaient pas là à la maison ce soir-là. Oh, elle était loin d'être prisonnière entre quatre murs, sa vie sociale était active et elle ne passait pas chacun de ses soirs cloîtrée chez elle, elle en profitait à deux cent pour cent quand elle sortait mais il lui arrivait souvent de trouver injuste d'être moins libre que son jeune frère.

La musique et la danse, c'était des trucs qu'elle avait dans le sang. Elle jouait du piano depuis aussi loin qu'elle s'en souvenait. Sa grand-mère lui avait donné ses premières leçons alors qu'elle formait ses premières véritables phrases, Izy ne se souvenait pas d'une époque où elle n'avait pas fait glisser ses doigts sur les touches. Elle avait un sens du rythme inné, elle aimait jouer, chanter et danser. Son sens du rythme et sa souplesse lui avaient permis d'entrer chez les Cheerleaders pendant sa dernière année de lycée mais c'est plus tard que son talent principal a pu être mis à profit. The Artefact, c'est le groupe dont Wednesday lui avait parlé. Quand Izy était arrivé au lycée, elle s'était retrouvée dans sa classe et ils avaient fini par très bien s'entendre tous les deux, plus encore lorsqu'il l'avait surprise dans la salle de musique. Il lui arrivait souvent de squatter cette salle et de pianoter sur le piano à queue ou sur le clavier électronique. Un piano, c'était trop cher pour que ses parents se permettent de lui en acheter un alors elle faisait avec les moyens du bord. Ce jour-là, ils avaient parlé musique encore et encore. Alors quand il avait eu l'idée de ce groupe, il avait pensé à Izy et elle ne s'était pas fait prier pour accepter. Il y avait dans ce groupe des gens à qui elle avait déjà parlé sans avoir fait plus amples connaissances, d'autres qu'elle voyait pour la première fois mais rapidement, tout ce petit monde s'est lié et s'est soudé. Bien sûr, il y avait quelques discordes parfois, mais c'était une deuxième famille.

Après le lycée, Izy avait songé à faire des études. Pourquoi ? Parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre. Le choix par défaut quoi. Mais plus elle y pensait, plus elle réalisait que c'était stupide. Rester le cul posé sur une chaise à écouter des profs déblatérer, ce n'était pas pour elle. Ça ne l'avait jamais été. Elle avait tenu jusqu'à son diplôme parce qu'il le fallait, mais ses notes se maintenaient tout juste autour de le moyenne, elle avait séché pas mal de cours et ce qu'elle avait préféré pendant cette période, c'était les soirées clandestines à picoler et à fumer des joints. Il ne lui restait plus qu'à trouver du travail. Ses parents s'étaient saigné aux quatre veines pour que les enfants Magliano aient une bonne vie. Déjà qu'Izy ne comptait pas aller à l'université, elle ne pouvait pas se permettre de juste glander en attendant qu'un boulot lui tombe tout cuit dans le bec. La première année, c'est pourtant l'impression que ça donnait, elle vivait chez ses parents, sortait souvent faire la fête, le tout sans avoir trouvé de travail. Pendant deux ans, elle avait enchaîné les petits boulots par-ci, par-là pour réussir à louer un petit appartement et quitter le nid familial. C'était des contrats courts pour la plupart, des remplacements, des truc temporaires, parfois elle se faisait juste virer. Comme cette fois où elle était serveuse dans un café, un client s'était permis de lui mettre une main aux fesses et elle lui avait envoyé le plateau dans la tronche. Elle avait été virée, le client est roi ta mère ! Finalement, elle avait déposé sa candidature dans un bar Chez Tess et sa période d'essai avait été renouvelée et elle était vite devenue une déesse des cocktails. Les recettes, ça rentrait vachement mieux que les cours. Heureusement, il n'était jamais arrivé aux oreilles de la patronne qu'elle avait quelques fois fini par terre en buvant des shots avec les clients.

« Mes parents viennent manger chez moi ce week-end, ça pourrait p'tet être l'occasion que tu les rencontres » Izy releva la tête vers son petit-ami, un sourire forcé étirant ses lèvres « Oh ! C'est cool, mais nan » dit-elle en secouant la tête « Hm ouais je m'en doutais, j'te préviens à la dernière minute, t'as sûrement déjà un truc de prévu » Izy entrouvrit la bouche pour chercher un mensonge puis se ravisa « Euh.. nan » Il haussa un sourcil sans comprendre et elle soupira « Ecoute, j'veux pas rencontre tes parents. C'est beaucoup trop tôt » Six mois qu'ils étaient ensemble, c'était déjà un record pour Izy et si ça tenait depuis si "longtemps" c'était parce qu'ils se voyaient assez peu souvent, en moyenne une fois par semaine et de temps en temps un week-end, pas de quoi s'étouffer l'un l'autre en somme. « J'suis pas en train de te demander en mariage non plus, j'te parle juste d'un dîner tranquille » « Mais on a pas besoin de ça justement, on est bien comme ça, pourquoi tu veux compliquer les choses ? » « C'est toi qui compliques tout là ! » C'était peut-être vrai mais pas question pour elle de l'admettre. A ses yeux, elle avait raison, elle l'appréciait vraiment ce mec avec qui elle sortait mais... elle faisait ça à chaque fois. Dès qu'une relation commençait à devenir sérieuse, qu'elle commençait à s'attacher, elle faisait en sorte de saboter cette relation avant de prendre le risque de souffrir. Elle saisissait la première occasion pour tout bousiller de l'intérieur, pour déclencher des disputes sur des sujets futiles, faisait en sorte de devenir cette fille chiante qu'on quitte parce qu'on en a ras le bol. C'était plus facile d'avoir le mauvais rôle que  de mettre à nu ses émotions. Cette fois-ci, elle avait pris l'excuse d'une bête proposition de dîner et d'une rencontre avec les parents pour tout foutre en l'air. Deux semaines plus tard, leur histoire était définitivement terminée.

« Putain mais magne... » le temps lui paraissait durer une éternité, les yeux fixés sur ce bâtonnet, attendant qu'un plus ou un moins s'affiche. « Bordel de merde...  » Enceinte. Mais comment c'était possible un truc pareil ? Non stop, elle connaissait le processus mais... Izy prit son visage dans ses mains, son cerveau tournait au ralentit, tout autour d'elle semblait lent, même l'air était lourd. Qu'est-ce qu'elle allait faire maintenant ? Elle avait une décision à prendre mais ses méninges venaient de prendre congé. Première chose à faire : devait-elle ou non en parler à Jace ? Parce que c'était forcément lui, elle n'avait pas récemment couché avec quelqu'un d'autre. Izy secoua la tête, non, elle ne pouvait pas, pas pour le moment. Il allait lui demander ce qu'elle comptait faire et elle n'aurait pas la réponse. Dormir. Une bonne nuit de sommeil devrait lui permettre de voir les choses plus clairement. Grosse erreur. En se réveillant le lendemain, une part d'elle espérait avoir fait un mauvais cauchemar mais la vitesse à laquelle elle avait couru aux toilettes pour vomir l'avait vite ramenée à la réalité. Ne sachant pas vraiment quoi faire, elle avait pris des rendez-vous jusqu'à passer une échographie et confirmer ce qu'elle espérait encore être un faux positif. D'après le médecin, elle en était à à peine plus d'un mois. Les yeux vides, elle ressortit de sa consultation sans être plus avancée. Affalée dans son canapé, elle essayait de se ressaisir. C'était simple après tout, il suffisait d'être rationnelle. Peser le pour et le contre puis prendre une décision en fonction. Ça semblait une bonne idée et les contre ne cessaient d'allonger la liste, en tête : elle n'avait pas vraiment envie d'être mère. Pourtant, malgré son célibat, le père de vingt-deux ans, cette absence de désir de maternité, son paquet de clopes par jour, sa facilité à descendre une bouteille de vodka à faire pâlir un cliché russe, ... une petite voix dans sa tête soufflait "et si ?" en balayant d'un coup tous les arguments les plus légitimes. Il lui avait fallu un temps de réflexion mais elle avait fini par prendre sa décision, la meilleure à prendre. Malgré la forte opposition anti-avortement dans cet État, ce n'était pas du tout le moment d'élever un enfant... Effectuant toutes les démarches qu'on lui indiquait, elle s'était retrouvée dans ce lit d'hôpital à regarder le plafond, se demandant encore si elle avait bien fait même si elle savait pertinemment que oui. A peine un mois après, elle repense souvent à cet événement qui refuse de lui sortir de la tête alors elle compense en buvant un peu plus pour oublier l'espace de quelques heures.