Pour la première fois depuis des semaines, voire des mois, j’avais eu des nouvelles comme quoi Joyce voulait qu’on se voit. Ce n’était pas inhabituel, enfin, à une époque, ce ne l’était pas. Maintenant, ce l’était, parce que ce n’était pas arrivé. Comment je l’avais pris ? Dans un premier temps, je n’en avais rien faire. Ensuite, j’avais commencé à essayer à me faire à l’idée qu’elle ne voulait peut-être plus me parler. J’avais cessé d’y songer, jusqu’à ce que je reçoive son message, et que je me rende compte que je n’étais peut-être pas aussi indifférent à cette distance que je voulais le croire, que je voulais l’assumer. Je ne savais pas si c’était une frustration refoulée, cette affaire qui commençait à me peser ou une combinaison des deux, mais je n’avais pas été des plus courtois. Est-ce que je le regrettais ? Je ne saurais pas nécessairement le dire. Au fond, je voulais qu’elle sache que ça m’avait dérangé de ne pas avoir eu signe de vie pendant tout ce temps, mais je ne savais pas si le moyen utilisé avait été le bon. J’avais cru que non lorsque plus tard, j’avais eu ses excuses, mais je n’avais pas l’impression que c’était suffisant. J’avais été torturé par l’éventualité pendant un moment, jusqu’à ce que je me décide à lui dire que j’allais passer, enfin, je ne savais pas, j’allais décider. Est-ce que je voulais ? Au fond de moi, oui, un peu, j’avais envie de la revoir, ça faisait longtemps. Mais après, je me doutais bien que cette conversation ne resterait pas comme ça, sans ajouter quoi que ce soit. Serait-ce pertinent de lui en parler justement ? Décidant de mettre la réflexion de côté, je ne parvins à m’y faire. Râlant contre moi-même, je lâchai tout ce que je faisais, pris mes clés, mon téléphone, mon portefeuille et je quittai ma demeure pour me rendre chez Joyce, sans réfléchir au trajet, je n’en avais plus besoin, même après tout ce temps à ne pas me rendre en ces lieux. Hésitant encore une fois dans la voiture, me demandant une dernière fois si je ne ferais pas mieux de faire demi-tour, je tentai de me convaincre et finalement, j’inspirai un grand coup, sortis de mon véhicule, et je me rendis à la porte, frappant à celle-ci. Je mis ensuite mes mains dans mes poches, signe de nervosité, espérant qu’elle vienne répondre rapidement, sinon, il ne m’en faudrait pas plus pour tourner les talons.

Je ne savais pas vraiment comment Joyce allait m’accueillir. Je me demandais même encore une fois si c’était une bonne idée d’avoir fait le trajet pour venir la voir, compte tenu de la discussion que nous venions d’avoir par message texte. Mais c’était trop tard, et trop rapidement pour que je puisse faire demi-tour, la porte s’était ouverte sur Joyce. Une Joyce qui avait un large sourire et qui m’invitait à entrer chaleureusement, comme si rien ne s’était passé. Je n’étais pas certain que j’aimais vraiment cette attitude. Enfin, je ne m’en plaignais pas, mais je ne savais pas vraiment si je pouvais partager son enthousiasme, compte tenu de toute cette histoire. Oui, elle s’était excusée, mais pour moi, ce n’était pas comme si je pouvais passer outre. Pour moi, il y avait un souci que je ne saurais dire, que je ne saurais vraiment expliquer. Malgré ça, j’entrai quand elle m’invita à le faire, et je tentai de me montrer un minimum chaleureux lorsqu’elle me demanda si je voulais boire quelque chose. L’intention n’était pas méchante, quand même. À cela, je répondis donc:  « De l’eau ça ira, merci. » avec ce que je pensais être l’ombre d’un sourire en coin, même si je n’étais pas tout à fait certain que mon visage avait vraiment bougé. L’eau ferait du bien, je l’espérais. Il fallait dire que j’avais un brin la gorge sèche. Et là arriva le moment de silence pendant que je l’attendais. Silence qui était un peu lourd. D’habitude je pouvais vivre avec ces silences. Mais là, il me semblait un peu trop pesant. Inutile de regarder les environs, je connaissais plutôt bien l’endroit, même si je devais avouer que lorsque je venais en ces lieux, je ne venais pas pour regarder la décoration, mais pour regarder autre chose, qui ne nécessitait pas de décoration ou même de vêtements. Ne supportant pas de rester ainsi plus longtemps, j’inspirai, et je demandai:  « Ta fille n’est pas là ? » La vérité était que je ne me souvenais pas si elle me l'avait précisé ou pas. J’avais été un brin aveuglé par la frustration qu’elle m’ait contacté pour la première fois depuis une éternité, comme si j’étais son jouet… Venant de certaines personnes, ça ne me gênait pas, mais venant d’elle… Il fallait croire que je l'appréciais plus au-delà de nos parties de jambes en l’air.

Alors c’était pour ça qu’elle avait décidé de m’appeler; sa fille n’était pas là. Je n’étais pas surpris. Avant qu’elle décide de faire silence radio avec moi, je venais chez elle surtout parce que selon ses dires, sa fille était à l’université, n’habitait plus sous son toit. Essayait-elle de me cacher d’elle ? C’était ce qui me paraissait l’explication la plus plausible pour le coup. Je ne l’avais jamais rencontrée, je ne me souvenais pas si elle avait mentionné mon prénom. Par conséquent, je ne m’attendais clairement pas à ce qu’elle soit au courant. Mais était-ce parce que Joyce était honteuse par rapport à nos petites galipettes nocturnes - et pas toujours nocturnes ? Je ne savais pas, mais c’était l’impression que j’avais, et ça m’embêtait, sérieusement. Le pire dans tout ça, c’était que je ne savais pas quoi en faire vraiment. Devrais-je me taire et faire comme si rien n’était, et si jamais nous faisions autre chose que de discuter ce soir, en profiter en supposant que ça ne risquait pas d’arriver de si tôt si sa fille restait dans les parages encore longtemps ? Je ne savais pas si c’était une bonne idée. N’étant pas au bout de ma réflexion, je me contentai de simplement accuser réception de l’information pour le moment d’un hochement de tête, rien de plus. Silence. Puis, Joyce reprit la parole, s’excusant encore de m’avoir laissé sans nouvelle. M’étant un brin calmé, mais toujours nerveux, je parvins à dire:  « Ce n’est pas grave. » Je voulus cesser suite à cette phrase, c’était ce qu’il y avait probablement de plus intelligent à faire. Je le savais, je le sentais. À cause de mon métier, tous mes gestes, mes paroles devaient être calculées, mais là, je fis l’idiot. Je fis l’idiot lorsque j’ouvris ma bouche encore une fois et je dis:  « Du coup je suppose que maintenant que ta fille est toujours là, ça ne se fera plus vraiment… ? » Ma tournure de phrase n’était même pas bien choisie. C’était complètement ridicule ce que je faisais là, je le savais. Et pourtant, je me devais de le savoir, je me devais de savoir à quoi m’en tenir. Après avoir été dans le flou tout ce temps, j’y avais bien droit, non ?

Je l’avais vexée avec ma question. Je le savais avant même qu’elle ouvre la bouche pour me répondre, et pas seulement grâce à l’expression qu’elle avait au visage. Je le savais parce que j’étais parfaitement conscient que la tournure de ma phrase avait été… médiocre. Ça me semblait être le mot le plus approprié dans la situation présente. Et le pire était que je ne savais pas comment j’allais le rattraper. Je ne savais pas comment j’aurais pu formuler mes propos autrement. Par conséquent, il me resta qu’une chose à faire; recevoir la réplique de Joyce en essayant de ne pas me sentir en colère, parce qu’elle avait raison de m’en vouloir d’avoir tenu des propos aussi… directs. C’était mon genre mais bon, le tact, ce n’était pas plus mal parfois, surtout dans des situations si délicates. Et j’avais fait ça tout seul, comme un grand. Du coup, il me restait qu’à accepter la salve et voilà tout. Évidemment, je n'appréciai pas le fait qu’elle en vint même à me dire que peut-être il vaudrait mieux arrêter. Justement, je n’en avais pas nécessairement envie. Je savais qu’entre nous il n’y aurait certainement jamais plus que ça, et c’était en partie pourquoi j’aimais tant pouvoir la retrouver, sans complexe, sans me poser de questions, quand nous avions besoin de réconfort elle comme moi, les deux bien souvent en même temps. Je baissai la tête, gardant le silence, essayant de penser à ce que je pourrais dire, mais je n’y parvins pas avant qu’elle reprenne la parole, venant à me demander de la comprendre, de penser à comment j'aurais réagi. La réalité était la suivante; je ne pouvais pas les comprendre, ses priorités, parce que je n’avais pas d’enfant, je n’avais pas de famille. J’étais seul, et j’étais fort probablement condamné à rester seul encore un bon moment, toute ma vie probablement. Je n’avais jamais eu une relation stable, parce que je n’arrivais pas à être stable tout seul comme un grand dans ma tête. C’était un bien mauvais départ pour le coup. Et je n’allais pas essayer de faire comme si je pouvais sentir ce qu’elle, elle sentait. Et je n'aimais pas jouer les hypocrites, donc je dis:  « Je n'en sais rien. «  Non, je n’allais pas lui donner la réponse évidente que tout le monde aurait dit, parce que ce serait lui mentir et me mentir à moi-même. Évidemment, je n’allais pas en rester là, et du coup, je dis:  « Si je n’avais pas envie de te pardonner je n’aurais pas fait le trajet jusqu’ici déjà. » C’était vrai. Faire des efforts quand je n’en avais pas envie, je faisais ça pour le boulot, mais c’était tout. J’étais égoïste comme ça et Joyce le savait déjà. Inspirant profondément, je finis par ajouter:  « Je veux juste savoir à quoi m’en tenir voilà tout. Je sais que tu avais raison mais rester dans le flou et attendre pendant si longtemps était loin d’être agréable et j’aimerais bien que ça ne se reproduise pas, s’il te plaît. » Il me semble que j’avais été suffisamment clair pour le coup, non ? Après, si cela ne lui plaisait pas et qu’elle voulait mettre vraiment une croix sur nos parties de jambe en l’air, ce serait dommage, mais je supposais qu’il faudrait me dire tant pis… Et probablement le regretter plus tard.

J’inspirai profondément pour ne pas passer un commentaire qui n’aurait fait qu’envenimer la conversation. Dire que je lui en voulais toujours n’était pas exact. Oui j’étais quand même frustré et puisque j’étais colérique de nature, je savais que cette frustration n’allait pas partir comme ça, ce n’était pas ainsi que je fonctionnais, même si je faisais tous les efforts du monde. Mais j’étais conscient qu’elle s’était excusée, alors que pouvais-je dire ou faire d’autre ? Gardant le silence, je lui laissai l’occasion de reprendre la parole quand elle vint à me mentionner qu’elle ne voulait pas que ça se reproduise et que si jamais il y avait un problème, elle allait me tenir au courant. En gros, c’était pas mal ce que je demandais dans un premier temps. Est-ce que je pouvais vraiment en demander plus ? Pas vraiment. Et puis, avoir toute exigence supplémentaire, en mon sens, serait complètement idiot. Déjà à la base, je ne savais pas vraiment pourquoi j’en avais fait tout un cas. Ne tenant pas à des relations à long terme, même si elles n’avaient rien de profond, même si ce n’était que pour satisfaire des besoins charnels, c’était à se demander pourquoi j’avais fait tout un cas concernant Joyce. La réponse n’était pas si compliquée; parce que je l’appréciais. Elle et moi nous nous entendions bien, et j’aimais comment les choses étaient faciles entre nous. Faciles, rassurantes, il faisait toujours du bien de la voir, et apparemment, ces mois passés sans nouvelles n’avaient pas changé ça. Mais orgueilleux et désireux de ne pas me montrer vulnérable, je ne voulais pas lui dire une chose pareille. Pourtant, je me devais de dire quelque chose, et l’être peu doué que j’étais ne fit pas mieux que:  « Est-ce que c’est le moment où je baisse mon pantalon et on n’en parle plus ? » Combiné avec un sourire un peu bizarre, à la fois narquois et gêné, c’était vraiment pourri. Et pourtant, c’était ce que j’aimerais faire. Changer de sujet. Pas nécessairement faire comme si rien ne s’était passé, mais au moins rendre cette soirée un minimum plus agréable.

Je ne m’attendais pas vraiment à ce qu’elle soit d’accord avec mon idée. Je l’avais dite surtout parce que je ne savais pas ce que je pourrais dire, alors j’avais décidé de me fier à ce que je faisais le mieux; être un idiot. J’avais donc passé un commentaire complètement ridicule, ne m’attendant à rien pour le coup. Clairement, je ne m’attendais pas à ce que Joyce soit d’accord pour le coup. Naturellement, je n’allais pas m’en plaindre. Je me doutais depuis le début que lorsqu’elle m’avait envoyé un message que c’était ce qu’elle attendait de moi, parce que c’était ainsi entre nous deux. Si ça n’avait pas fait tout ce temps, je n’aurais pas passé de commentaire, et certainement que je serais en train de grogner bruyamment au-dessus d’elle après une partie de jambe en l’air intense. Mais maintenant que les choses étaient claires entre nous, peut-être que ce n’était qu’un petit délai ? Maintenant qu’elle m’avait répondu par la positive, je l’espérais, vraiment. Ce fut à un tel point que mon sourire idiot ne me quitta pas tout de suite, pas comme elle me l’avait demandé. Avais-je fait exprès de le garder pour l’embêter ? Un peu, fort probablement. Évidemment, je repris mon sérieux lorsque je la vis s’approcher, appréciant grandement l’ardeur dont elle fit preuve en réduisant la distance entre nous en néant et en m’embrassant comme si nous avions passé la soirée ensemble il y avait de cela peu de temps, comme s’il n’y avait pas eu tout ce temps nous séparant. Me concernant, la tension était oubliée, et je ne tardai pas à répondre à son baiser. J’eus un petit soupir amusé au commentaire de ma chère amie, mais je ne répondis pas, pas tout de suite. Prolongeant le nouveau baiser qu’elle m’avait offert, je dis ensuite contre ses lèvres:  « Ta chambre ? » Ou le salon, la cuisine, je m’en moquais bien. Mais j’avais proposé la chambre malgré tout parce que c’était à porte fermée. Du coup, si sa fille rentrait pour une raison quelconque, elle ne tomberait pas sur un spectacle qui aurait tôt fait de la dégoûter ou la faire hurler de la mauvaise façon. J’avais beau me trouver glorieux au lit, je savais bien que ce n’était pas tout le monde - et certainement pas une gamine qui voyait sa mère prendre son pied - qui était du même avis.