Ce matin, tu avais découvert un drôle de tapis au pied de ton lit. Par chance, tu n'avais pas mit le pied dessus. Une fois déroulé, tu t'es rendu compte que c'était bien vivant. En fait, t'avais déjà vu cette boule de poils. Qu'est-ce que le renard de Lysandre faisait chez toi ? Tu n'y as pas porté attention tout de suite, t'as pas cherché à savoir, jusqu'à ce que tu reçois un appel à neuf heur trente-huite. L'appel que tu attendais, il faut le croire. T'avais quoi, une demi-heure pour t'y rendre. Tu as raccroché en baissant les yeux sur l'animal. Tu ne pouvais pas le laisser seul, donc ça t'a mener à demander ce qu'il en était. Résultat : tu apprends que ton fils s'installe chez toi du à un problème avec son appartement. Ça ne te déplait pas en réalité, t'as même ce sourire qui se dresse sur ton visage. Ça te réchauffes même le coeur. Tu ne le lui diras pas, tu le sais. Tu préfères te taire.

T'as fini par partir, sachant que ton fils viendrait s'occuper de son renard. T'es monté dans ton camion et t'es parti sans te retourner. Il faut l'avouer, t'étais un peu nerveux. Quitter l'armée c'était quelque chose, mais ce boulot... C'en était autre chose. Pourtant, tout c'est bien passé. T'avais passé la porte du bureau, à peine quinze minutes plus tard, t'avais les formulaires pour l'arme, le badge, les antécédants, le dossier médical et celui de la famille. Dans le dernier, tu y avais inscrit ton fils décédé, celui toujours en vie, ta fille, l'ex-fiancée de Roméo et sa fille, Thalia. Normalement, tu en aurais eu pour quoi... Trois heures ? Même quatre? Mais là, plus le temps avançait, plus tu te disais que ta journée ne serait pas terminée avant un moment. T'as fini par sortir des bureaux, arme à la ceinture, badge dans la poche intérieure de ta veste. Tu rallumes ton portable et tu soupires en réalisant, que ta maison allait se retrouver bordée d'animaux. T'es déjà découragé de rentrer à la maison. T'as pas bien le choix en fait.

La conversation avec ton fils tourne au vinaigre. Il était entré là ou il ne devait pas. Ton bureau. T'avais tout dans cette pièce, non seulement des bouteilles jonchant autant le bureau que le sol. Tu passes nerveusement ta main dans tes cheveux et tu fermes les yeux  à une lumière rouge. Tu penses à tout le reste. La mort de Roméo est affiché partout. Tous les articles, l'endroit, la date, l'heure, ta présence sur les lieux, le fait que le responsable est toujours en cavale. Tout y est. Tu t'empresses de rentré et tu ne bronches même pas à l'idée que tu vas te faire engueuler. S'il a pris le temps de tout regarder. Ce qu'il a sûrement eu le temps de faire vu ton absence. Tu passes la porte de chez toi, ton camion garré de travers dans l'allée. Tu fais claquer la porte. « Lysandre! » Vaux mieux être le premier, c'est toi le père. Tu t'approches de la salle à manger et tu viens plaquer tes mains sur la table. « LYSANDRE! »

Il était dans ton bureau. Merde ! Tu fulmines, tu rages, tu pestes et tout ça en silence. Tu prends une grande inspiration avant de te redresser. Tu contournes la table et te rend à ton bureau. Tu pousses la porte avec violence, l’entendant claquer contre le mur. Tu fais un pas vers lui avant de lui arracher l’article des mains. Tu l’écrases dans ta main et la balance par dessus ton épaule. T’évites un instant son regard pour garder ce calme que tu gardais depuis la mort de ton fils. Tu savais que montrer ce que tu ressentais pourrait occasionner des soupçons sur ce que tu planifiais de faire. « Je ne t’ai jamais pris pour un con et ça n’arrivera jamais. » Ta voix est faible, c’est vrai ce que tu dis et tu préfères garder ce ton, plutôt que de t’énerver, mais ça ne tiens pas très longtemps. T’es remonté. Pas contre lui, mais contre toi, comme toujours. « Quoi ? Qu’est-ce que tu aurais voulu, hein!!? » Tu hausses le ton, même sous l’effet de l’alcool, ça ne t’étais jamais arrivé et encore moi ce ton stupide. « Salut fiston, c’est papa. Au fait, ton frère s’est fait tué par ma faute. Il venait me chercher à une réunion. J’ai vu la voiture arrivée, mais j’ai pas bougé. Ton frère est mort dans mes bras. C’est ça. Salut, bye. » Ton pied fracasse trois bouteilles devant toi. Même en revenant de l’armée, tu n’avais jamais donné signe de violence. Tu te prends la tête entre tes mains, tout semble vouloir sortir en même temps. Ta gorge, ton coeur, ta tête ils hurlent ta soif d’alcool. Tu sais que t’as une bouteille de cacher quelque part, mais si tu vas la chercher, il saura ou tu la planques. Tu ne fermeras pas ta gueule si tu ne bois pas. Ton visage se déforme par la colère que tu te portes, il prend des traits froncés et une teinte rouge avant que tu te retournes vers lui. Tu pointes ta tête sans délicatesse, comme si tu cherchais à te faire mal. Tu pourrais faire plus simple… « Il est mort à cause de moi! JE L’AI REGARDÉ MOURIR SANS POUVOIR FAIRE QUOI QUE CE SOIT ! J'AI PAS SU LE PROTÉGER ! » Tu te retournes à nouveau, c’est la première fois que tu en parles depuis sa mort. T’en peux plus. Tu frappes sur le côté d’une des bibliothèques et tu en ressors une bouteille de Whisky. Tu l’ouvres et prend une gorgée. Tu pousses ensuite un soupire. La bouteille se cogne contre ta taille et tu baisses les yeux. Tu lèves le bras dans la direction de ton fils en le pointant. Tu décroches l’arme de ta ceinture et la fait légèrement sauter dans ta main. « Il avait pas à être là. Il a insisté pour venir me chercher. Je l’ai laissé faire. C’est moi qui aurait du mourir. Pas lui. » Tu saisis l’arme chargé en redescendant ton bras. Tu ne réfléchis pas, ton coeur cri au meurtre et faut croire que ce ne sera pas celui qui a tué ton fils. Ta poigne se referme sur la bouteille et l’arme termine écrasée contre ta tempe. T’as pratiquement la tête entre les épaules, tout te semble pesant.

Ou était passé le Nevil que tout le monde avait toujours connu? Tu n'étais plus là, tu étais dans une colère noire que tu ne te connaissais pas toi-même. Le pire dans cette histoire ? Cette colère était dirigée sur ton fils! Le seul qui te restait ! Comment est-ce que tu pouvais être ainsi ? Un père n'en veut pas autant à son enfant ! Un père protège ses enfants ! Un père garde sa famille unie ! Un père est toujours présent ! ET PUIS MERDE ! T'es pas comme ça et tout remonte à la surface ! Depuis leur naissance, t'as toujours été en cavale à cause de ton boulot. Qu'est-ce que tu as manqué ? Hein? Quoi d'autre que tu n'as pas dit ! Que tu n'as pas vécu! Tu as l'impression d'avoir tout manqué tout d'un coup!

Tu t'es retrouvé dans ton bureau, face à ton fils, avec - sûrement - de la fumé qui te sort par les oreilles. C'était ton sanctuaire, ton petit univers et il l'avait brisé. Bon t'avait peut-être fait le con en parlant de cette pièce, mais ce n'était pas une raison pour mettre le nez dans tes affaires. Tu t'emportes, tu hurles, tu exploses! Rien ne pourrait t'arrêter. Tu ne te rends même pas compte du calme que dégage ton fils, tu t'emportes seul. T'as un rire sombre, un rire faux, un rire faux, qui sort de tes lèvres et ton coeur se brise un peu plus. Tu perds la tête, ça y est, t'es au bout du rouleau, t'en peux plus. À quoi bon en parler quand c'est déjà passé. Tu ne l'écoutes pas, tu ne l'écoutes plus. Ce n'est pas ta faute... Ce n'est pas de ta faute! Tu devrais l'écouter, il a raison, mais ta tête est ailleurs, elle ne veut rien entendre d'autre que tu es le responsable de sa mort...

Tu ne vois qu'une seule solution... La bouteille à la main, une gorgée interminable, ton arme de service tout neuf contre la tempe. T'as envie de mourrir, t'en peux plus de ce poids pourri au coeur. C'est pas à toi de payer, ses mots se répètent en boucle dans ta tête. La mort de Roméo, ton coeur se déchire et ça y est... Tu craques officièlement. Ton corps se met à trembler des sanglots qui t'envahissent. L'arme tremble contre ta peau et ton doigt s'ancre à la gachette, prêt à tirer. Tu n'oses pas regarder la photo qu'il met sous ton nez. Tu la connais par coeur cette photo, jusqu'à chaque tache de rouille, chaque égratignure, chaque bosse. Ça ne sert à rien de la regarder encore une fois.

Pourtant, les mots de ton fils ont du t'atteindre, puisque tu le laisses récupérer ton arme. Tu sens tes jambes qui ne veulent plus te supporter. Le flo de larmes se déversent sans contrôle et tu t'effondres. T'avais relâcher la bouteille qui commençait à se vider sur le sol. Tu te prends la tête entre les mains et ton corps bascule de l'avant vers l'arrière à répétition et tu n'as qu'un mot en bouche, qu'un nom... Roméo...

Tu étais prêt à en finir, là, maintenant. Arme contre la tempe, tu allais tirer sans te soucier de la présence de ton fils.  Quel idée stupide de faire un geste tel devant ton enfant. C'était stupide, complètement stupide. Tu avais perdu tout sens de logique, tu voudrais en finir maintenant, par manque de patience. Tu le traquais depuis des semaines et ils se cachaient trop bien à ton goût. Ça te tuait, ça te minait et ça te faisait sombrer encore plus bas. Tu buvais de plus en plus, même en pleine journée. Le fait d'aller travailler dans un bureau te permetterait de limiter ta consommation d'alcool et ça te rassure un peu. Tu serais capable de te tuer au volant, ou comme tu viens de le vivre, avec ta propre arme. L'alcool fait perdre la tête et avec toi, elle te donne des idées folles. Il suffirait jusque tu le trouves cet imbécile pour lui rendre l'appareil de la même façon qu'il l'avait fait en prenant la vie de Roméo. Lysandre est là à côté de toi pendant que tu craques pour la première. Tu n'as pas su pleurer lors de l'enterrement, ou encore lorsqu'il est mort dans tes bras. T'es brisé et c'est la première fois que tu le montres vraiment. Tes mains tremblent, ton corps tremble et tes yeux sont sur tes extrémités suspendu dans le vide, devant toi. Tu les agites en revivant encore une fois le dernier souffle de ton fils.

« Il était là... Je l'avais dans mes bras. J'ai rien pu faire. Il me regardait et j'ai rien pu faire. »

Tes mains se referment en poings et tu viens te frapper la tête brusquement. T'as envie de hurler, t'as envie de boire, t'as envie de dormir, t'as envie de mourir surtout... Pourtant, il sait trouver les mots qui viennent calmer la violence naissance. Tu tournes la tête vers ton fils et tu arrives a retrouver une respiration plus calme et tu te lèves avec lui. Tu baisses les yeux et le suit hors de ton bureau, y laissant par la même occasion ton arme. Tu rejoins le comptoir de la cuisine avant de te laisser tomber contre un tabouret. Tu poses ta main dans ta paume et hausses les épaules en silence. Tu sais ce que tu veux et tu sais bien qu'il ne te le donneras pas.

Comment te détruire la vie ? Culpabiliser. Comment t'enfoncer un peu plus ? Retomber dans l'alcool. Résultats possibles ? La mort, l'internement, l'état végétatif, la prison. Ce que tu as à perdre ? Ton fils et ta fille. Qu'est-ce que tu pourrais bien faire ? Être raisonnable et t'assurer que le responsable de la mort de Roméo sont enfermé. Malheureusement pour toi, ton raisonnement est faussé par tant de chose ; surtout l'alcool et le chagrin. Tu t'appitoies sur ton sort. Tu supportes mal la mort catastrophique de l'un de tes jumeaux. Tu t'es perdu dans un monde de noirceur, tu t'es laissé envahir par cette dernier. T'as creusé ta tombe sans même t'en rendre compte. Peut-être que lui remarquera à quel point cette histoire est en train de te tuer.

Ton fils a eu bonne conscience de te sortir du bureau. Lui avouer de façon aussi désorganisé que tu étais sur place quand la tragédie a eu lieu t'as foutu tout à l'envers et tu n'arrives plus à le regarder dans les yeux. Affalé contre un tabouret, tu es replié sur toi-même et tu fixes le ville, désireux d'un putain de bouteille. La présence de Lysandre devrait te freiner à l'idée, mais maintenant qu'il sait, c'est encore plus difficile de résister. Tu joins tes doigts ensemble pour gérer le tremblement de ces dernières. Tu te râcles la gorge lorsqu'il mentionne qu'il serait préférable de commander. Qu'il fasse ce qu'il veut. Au point ou tu en es, il peut bien vider tes cartes, t'en as rien à foutre. Ce qui est certain, c'est que tant qu'il vivra sous ton toit, tu te permettrais de tout payer et il n'aura rien à y dire.

T'as su te calmer, en fait, tant que t'étais loin de ton bureau, c'était plus facile. Il s'adresse à toi de nouveau et tu lèves enfin les yeux vers lui. Ce que tu sais. Tu pousses un soupire et tournes la tête vers ton bureau. Tu t'humecte les lèvres. C'était aussi claire que de l'eau de roche et tu hésites un moment avant de répondre à sa question. « Nissan Altima 2009, plaquée LHJ 395. Homme, quarantaine. Cheveux brun, long. Yeux bleu. Faiblesse dans la jambe droite. Marié à priori. » Tu n'avais peut-être eu le temps de le détailler, mais ces détails t'avaient frapper en un coup d'oeil. « J'ai fait des recherches. Aucun véhicule n'a cette plaque. C'est une plaque du Vermont. Aucun signalement dans les bases de données. Ni même de dossier médicale correspondant à la description. Passé un portrait dans la base de donnée fédérale, ça prend un temps fou. » Oh ouais, t'étais plutôt sérieux sur le cas. Il était hors de question que tu lâches le morceau. Quitte à y prendre des nuits entières. Tu viens passer une main fatiguée contre ta nuque en fermant les yeux. Dès que tu entends le nom de Talia, un fin sourire se glisse sur tes lèves. « Je m'arrangerai pour être à la maison. » Elle te manque cette petite.